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Fuis, marin !... Fuis la Loreleï !
Son chant est un piège sans faille 
Et son écho, sur l’eau du Rhin,
Sonnera ta mort... Fuis, marin !

Ultime escale au long du fleuve,
En tout temps, qu’il vente ou qu’il pleuve,
Elle attend, seule, au ras des flots,
Chevauchant la roche à fleur d’eau...

À l’heure où s’épaissit la brume
Un chant échappé de l’écume
Envoûte inexorablement
L’homme et la barque, en un instant.

Batelier !... Tu ris !... Tu ris sans
Remarquer le moindre brisant ! !...
Et ton embarcation qui va
Droit vers la voix de la Diva...

Mais d’un coup, la barque se brise !
Et Loreleï, ferrant sa prise,
Enlace l’homme sous la lame
Tandis que le noyé rend l’âme...

Loreleï... Belle Loreleï...
Tu ne sais pas que, maille à maille,
Au fil du temps qui passe et passe
Le trémail de ta voix se casse,

Au fil du temps, vaille que vaille,
Ton pouvoir se meurt, Loreleï...
Bientôt tu ne seras plus rien
Qu’un reflet au mitan du Rhin ;

Bientôt tu rejoindras tes morts
Pour un ultime corps à corps 
Dans le rythme lent de ces lieux
Infinis... Glacés... Silencieux...

Portées par les courants marins
Les âmes de tous ces marins
Navigueront au gré de l’onde
En un perpétuel tour du monde ;

Les poissons, les connaissant toutes
À force de croiser leur route,
Épèleront de bulle en bulle
Le nom de ces marins crédules ;

Et chaque bulle éclatera
Sous la vague où tu t’étendras
Pour te projeter à l’oreille
Leurs cris, dans ton dernier sommeil.

Et chaque bulle, en arrivant
Le long de son corps dérivant,
T’épouvantera, Loreleï,
Bien plus que tout épouvantail.

© Christian Gros
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