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Une écriture unique

Je me suis donc plongée dans la lecture de ce recueil et ses poèmes depuis m'accompagnent, tant j'y trouve si finement et fortement formulés ces états d'âmes en proie aux doutes, aux peurs, aux tristesses, aux luttes, aux joies que nous éprouvons tous un jour ou l'autre. L'écriture de Maurice Scève, une fois passée l'étape du message attendu (un JE qui aime, un TU qui est à un autre) et une fois oublié le respect d'un certain genre amoureux de dire poétique (les références mythologiques), m'a plu en ce qu'elle a d'unique. Maurice Scève invente une langue qui s'affirme par des bizarreries de lexique et de syntaxe. Il puise dans des mots anciens venus du latin, de l'italien ou de l'espagnol pour en former de nouveaux, ou il forge de toutes pièces, à partir de mots existants, d'autres mots qui en dérivent, à charge au lecteur d'y trouver un sens.

CDXXI

Voulant je veux que mon si haut vouloir
De son bas vol s'étende à la volée,
Où ce mien veuil ne peut en rien valoir,
Ni la pensée, ainsi comme avolée*,
Craignant qu'enfin Fortune, l'évolée,
Avec Amour, pareillement volage,
Veuillent voler le sens et le fol âge,
Qui s'envolant avec ma destinée,
Ne soustrairont l'espoir qui me soulage
Ma volenté saintement obstinée.

* Avolée : accourue en volant.

Maurice Scève crée également, par des constructions de phrases au sens indécidable, en raison de tournures alternatives ou d'éloignement du verbe et du sujet, un style original qui oblige le lecteur à reprendre, à peine aboutie sa lecture, le fil du poème pour en rechercher le sens. Par ailleurs, la condensation formelle extrême du dizain de décasyllabes donne à voir le poème lui-même comme une sorte de dessin, un carré compact, où l'écriture difficilement compréhensible donne, par cette difficulté même, une place toute particulière à la langue qui devient en elle-même un moyen de se libérer des contingences du temps en questionnant le sens des mots, une échappatoire sonore au cadre graphique trop strict, le souffle vivant qui traverse le temps de la lecture, et inscrit l'écriture dans un registre d'éternel recommencement ou de recherche de sens à perpétuer. 

Lire Délie de Maurice Scève

 Sur le site de la Bodleian Library, Maurice Scève, Délie, object de plus haulte vertu, 1e édition (Lyon) en 1544, numérisation de cette édition en mode texte, avec les emblèmes.

Maurice Scève, Délie, object de plus haulte vertu, N. Scheuring, 1862.
Dans Wikisource, en mode texte, numérisation de cette édition encore très incomplète.

Maurice Scève, Délie, object de plus haulte vertu, édition critique avec introduction et des notes par Eugène Parturier, Mâcon, 1916
Sur le site de la Bibliothèque Nationale de France (BNF),
numérisation de cette édition en mode graphique, avec les emblèmes.

Maurice Scève, Délie : objet de la plus haute vertu, orthographe modernisée, NRF/Poésie Gallimard, 1984.

-> Pour approfondir : consultez la biblio-webo-graphie.

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Barbara Pillot, Maurice Scève, La Délie, invitation à un parcours poétique choisi, 5/7.

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