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Coup d'œil sur la poésie lituanienne

Par Diana Sakalauskaité



Emblème de la Lituanie, sur un bâtiment de sa belle capitale, Vilnius (photo de Monique Blavin)

« Venez, dit Oscar Milosz, poète européen de langue française d'origine lituanienne, - venez avec moi et je vous conduirai en esprit vers une contrée étrange, vaporeuse, voilée, murmurante. » Un coup d'aile, et nous survolerons un pays, au croisement de l'Europe occidentale et orientale, près des rivages de la mer Baltique, où toutes choses là-bas ont la couleur éteinte du souvenir. C'est Lietuva, qui se traduirait du mot latin « terre près de l'eau », pour les Lituaniens eux-mêmes, le nom se rapproche du mot « lietus » - pluie, la Lituanie, la terre de Gediminas, fondateur de Vilnius, et de Vytautas le Grand qui régnait à la fin du Moyen Age sur un territoire allant de la Baltique à la mer Noire, la Lituanie, pensive, contrée au ciel tiède et pâle, au parfum de miel de l'été qui fait place à cette odeur d'automne qui est comme son âme. Certains ont dit « Si la Suisse se caractérise par les hautes montagnes, l'Italie par les oeuvres d'art et la Finlande par les lacs, on pourrait parler de la Lituanie comme d'un pays dangereux à vivre pour un petit peuple ». La référence au passé - mythique ou réel - reste fondamentale dans un pays où l'imaginaire tant collectif qu'individuel, est pétri d'histoire. Elle est vécue par les Lituaniens comme une composante de l'actualité et un ciment d'une identité nationale.

Le linguiste français Antoine Meillet (1866-1936) a dit : « Celui qui veut savoir comment parlaient nos aieuls doit venir entendre parler le paysan lituanien ».

La langue lituanienne est l'une des plus anciennes de l'Europe, restée proche du sanscrit, dont sont issues les différentes familles des langues indo-européennes. Le lituanien - qui forme avec le letton et le vieux-prussien (disparu au XVIIIe siècle) le groupe balte de la famille indo-européenne - doit son archaïsme au fait que, de ses origines à nos jours, il n’a pas subi de changements phonétiques, les consonnes d’origine se sont maintenues presque toujours, soit en position initiale, soit à l’intérieur d’un mot tandis qu’à la fin des mots se maintient jusqu’à aujourd’hui le très important phonème « s » qui contribue à confier aux formes morphologiques une touche d’archaïsme indo-européen. Par exemple, « loup » qui en lituanien se dit « vilkas », se dit en grec ancien « lúkos » et en sanscrit « vrkas ».

Et ton prénom ton prénom ton prénom

C'est peut-être grâce à ces fortes racines que les Lituaniens ont su sauvegarder leur langue et leur identité, malgré l'histoire turbulente du pays. Cet attachement à la tradition, typique du caractère national, a fait des Lituaniens le dernier peuple païen d'Europe : cela est fondamental pour comprendre leur rapport au monde, l'amour charnel qu'ils portent à la terre natale, leurs dialogues avec les arbres, le vent, le ciel - l'essence même de leur poésie. Dans la littérature lituanienne, les plantes et les animaux ne sont pas de simples composantes de l'environnement, mais des interlocuteurs fréquemment personnifiés, les partenaires privilégiés de l'homme. Baptisé en 1387, le peuple a continué à frayer avec les dieux d'antan, les génies de l'eau et de la forêt, à choyer la couleuvre, porteuse de fertilité, intermédiaire entre le monde souterrain et celui des hommes. Les légendes, les raudos (complaintes), les dainos (chants populaires, le lituanien comme le letton dispose d’une grande richesse en chants populaires où le merveilleux et le mythologique païen se mêlent au surnaturel chrétien) - tout ce trésor folklorique, venu du fond des âges et transmis de génération en génération, a été une source d'inspiration incontestable pour les poètes, mais aussi a permis au peuple lui-même de tenir debout et de faire de la résistance. Les « Dainos » sont remplies de grâce et de simplicité. La langue lituanienne se plie aisément aux expressions caressantes. Le style familier est embelli par l'usage fréquent des diminutifs, parfois impossible à rendre dans une traduction. Quant à la forme des Dainos, elle est très simple : une idée, une image pouvant servir de comparaison, et les sentiments d'amitié ou d'amour. Tout ce qui tombe sous ses yeux est bon à prendre pour le poète : un arbre fleuri, une source d'eau, un verger, tout s'anime et respire la vie et les sentiments les plus doux. Dans les Daïnos, la forme interrogative est employée très souvent. Souvent la chanson prend la forme dialoguée, par exemple entre la mère et sa fille, ou bien entre la jeune fille et son amoureux parti à la guerre. La couronne de la verte « rūta » (couronne de rues) est le symbole de l'amour et des espérances de la jeune fille.

Pendant plusieurs siècles les nobles et les intellectuels ne parlent que le polonais, car le polonais devient langue d'Etat, tandis que le lituanien n'est pratiqué que par les paysans. La « Petite Lituanie », région de Prusse orientale (territoire que se partagent aujourd'hui l'enclave russe de Kaliningrad et la Pologne), est le creuset où se forge la langue nationale, celle des rustres. C'est là que l'œuvre fondatrice de la littérature lituanienne voit le jour : écrit en 1770, Les Saisons de Kristijonas Donelaitis, un poème épique en hexamètres classiques, donne à voir la vie quotidienne des paysans encore soumis au servage. Les Saisons représentent une nouveauté en Europe du Nord : c'est la première fois que l'hexamètre est utilisé dans un texte rédigé en langue nationale et non plus en latin.

Les bienfaits de l'automne

À peine née, cette littérature est menacée de disparition. Lors du troisième partage de la Pologne (1795), la quasi-totalité du territoire lituanien échoit aux tsars qui mènent une politique de russification intensive et interdisent l'enseignement en langue lituanienne, puis l'usage de l'alphabet romain, symbole de l'appartenance au monde occidental et imposent d'écrire en cyrilique, c'est-à- dire l'alphabet russe. Le nom même de Lituanie est rayé de la carte. Imprimés en « Petite Lituanie », les bibles et les abécédaires sont importés en contrebande par les « knygnešiai » - porteurs de livres.

Les curés de campagne, amenés à se substituer aux instituteurs, jouent un rôle essentiel dans la lutte pour la langue et l'identité nationales et deviennent tout naturellement les maîtres à penser du peuple. Les principaux écrivains précurseurs de l'indépendance sont souvent des prêtres, comme Maironis (1862-1932), le poète national lituanien, chantre de la grandeur historique et des « géants » du passé. Lyrique jusqu'à l'exaltation dans sa passion pour la terre de Lituanie et sa beauté, il a su capter le romantisme et la sensibilité populaires, trouver le ton exact pour les exprimer, exacerbant le sentiment national jusqu'à en faire le miroir où chacun se reconnaît.

Chant des temps anciens

Ce n’est qu’à partir de 1918, après de longues périodes de polonisation, de germanisation et de russification du pays, avec des périodes successives de grandeur et de décadence, que le lituanien est devenu la langue officielle de la Lituanie.

Avec l'indépendance, la littérature aussi se diversifie. Mais l'invasion de la Lituanie par l'URSS met un terme brutal à l'essor littéraire. L'indépendance n'aura duré que vingt-deux ans. Les écrivains sont contraints de quitter le pays et emportent pour seul bagage une poignée de terre natale et une vision tranfigurée de la patrie perdue. Certains, comme Bernardas Brazdžionis, poète romantique, lancent l'anathème :

« J'appelle mon peuple que la Guépéou étouffe
  
livré à la tourmente comme feuille d'automne »

Ils sont convaincus que la parole poétique sera le guide de la nation. Après la mort de Staline, la littérature ose une timide percée de « contestation intérieure ». Comme au temps des tsars, la langue, détournée de sa fonction, entre en résistance et redevient le principal outil de sauvegarde de l'identité, de la conscience et de la mémoire historique nationales, en un temps où le russe est de nouveau la langue officielle de l'administration.

Se taire

Lorsque, vers 1957, le dégel s'annonce en URSS, la poésie lituanienne retrouve son prestige d'antan. Ainsi, pour donner un exemple, le recueil de poésie Vienintelė Žemė (Terre unique) de Justinas Marcinkevicius est tiré à 50 000 exemplaires. Poète, dramaturge, essayiste, traducteur, Jonas Marcinkevicius est sans doute l’écrivain le plus populaire de Lituanie, parce qu'il a puisé aux sources de l'histoire nationale, y trouvant les messages qui l'aidaient à lutter pour son identité et l'avenir de son pays. Tout au long des années d'occupation soviétique, la sauvegarde de la langue a ainsi été l'une de ses principales préoccupations et il fut l'un des fondateurs du mouvement de résistance « Sąjūdis » en 1988.

L'Arrivée de la Lituanie

Chez les poètes la terre et la nature sont au cœur de toutes les oeuvres, elles apparaissent comme l'espace existentiel de l'homme, une métamorphose vitale à l'abri du politique. Certains poètes comme Sigitas Geda prennent appui sur la mythologie balte donnant un sens particulier à la nature, comme une participation au processus cosmique, ou l'incarnation d'un amour merveilleux, ou comme la quintessence de la Lituanie indestructible. Ici, je veux citer le poète Marcelijus Martinaitis et ses Ballades de Koukoutis, devenues des chansons connues de tous, son personnage de Koukoutis incarne le paysan type, attendrissant et comique avec ses vertus et ses travers.

Tant de Koukoutis et un seul

Et ce soir, nous avons le plaisir de faire ensemble la traversée poétique de la Lituanie avec des poètes qui s'inscrivent pleinement dans le paysage littéraire et poétique d'aujourd'hui.

Poèmes de Stasė Lygutaitė- Bucevičienė

 Comment écrit-on des poèmes ? de Elena Karnauskaitė

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Sources

- Cahiers lituaniens : La Lituanie par son histoire et sa culture, Association Alsace-Lituanie.

- Ugné Karvelis :
- Histoire de la littérature lituanienne, Association Alsace-Lituanie, 1998.
- Revue Europe, 1992,  « Littératures des Pays Baltes »
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Une trentaine de poèmes ont été lus par le public de la Cave.

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