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Au bord de l’Orénoque

Au bord de l’Orénoque,
un jour, se promenait
Monsieur Duchnoque,
le savant qu’on connaît.
Soudain voilà que ventre à terre
arrive Arthur, son secrétaire :
— Monsieur le professeur, quel horrible accident !
Votre femme... Ah, j’en tremble !... Il avait de ces dents !...
— Ma femme ? Un accident ? Quelqu’un l’aurait mordue ?
Ne l’avez-vous pas défendue ?
— Monsieur le professeur, j’en suis désespéré :
un crocodile, hélas, vient de la dévorer.

Monsieur Duchnoque,
membre de l’Institut,
contempla l’Orénoque
et longuement se tut.
Puis, avec un sourire : — Arthur, dit le bonhomme,
je suis sûr que vous avez tort :
à la longitude où nous sommes,
ce doit être un alligator.

Cette fable est méchante et bête,
mais prouve indiscutablement
que le renom souvent masque l’analphabète :
l’alligator était un caïman.

(— Un caïman ? Le doute est légitime,
il faut voir, dit l’autre, il faut voir...
Crocodile ou pas, moi j’estime
que madame Duchnoque est seule à le savoir.)

Jean-Luc Moreau, Les poèmes de la souris verte, 2003.

© Fleurs d'encre, Hachette Livre
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