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Thème proposé : l'enfance
Lundi 22 janvier 2018

Les enfants se réveillèrent.

Ce fut d’abord la petite.

Un réveil d’enfants, c’est une ouverture de fleurs ; il semble qu’un parfum sorte de ces fraîches âmes.

Georgette, celle de vingt mois, la dernière née des trois, qui tétait encore en mai, souleva sa petite tête, se dressa sur son séant, regarda ses pieds, et se mit à jaser.

Un rayon du matin était sur son berceau ; il eût été difficile de dire quel était le plus rose, du pied de Georgette ou de l’aurore.

Les deux autres dormaient encore ; c’est plus lourd, les hommes. Georgette, gaie et calme, jasait.

René-Jean était brun. Gros-Alain était châtain, Georgette était blonde.

Ces nuances des cheveux, d’accord dans l’enfance avec l’âge, peuvent changer plus tard. René-Jean avait l’air d’un petit Hercule ; il dormait sur le ventre, avec ses deux poings dans ses yeux. Gros-Alain avait les deux jambes hors de son petit lit.

Tous trois étaient en haillons ; les vêtements que leur avait donnés le bataillon du Bonnet-Rouge s’en étaient allés en loques ; ce qu’ils avaient sur eux n’était même pas une chemise ; les deux garçons étaient presque nus, Georgette était affublée d’une guenille qui avait été une jupe et qui n’était plus guère qu’une brassière. Qui avait soin de ces enfants ? on n’eût pu le dire. Pas de mère. Ces sauvages paysans combattants, qui les traînaient avec eux de forêt en forêt, leur donnaient leur part de soupe. Voilà tout. Les petits s’en tiraient comme ils pouvaient. Ils avaient tout le monde pour maître et personne pour père. Mais les haillons des enfants, c’est plein de lumière. Ils étaient charmants.

Georgette jasait.

Ce qu’un oiseau chante, un enfant le jase. C’est le même hymne. Hymne indistinct, balbutié, profond. L’enfant a de plus que l’oiseau la sombre destinée humaine devant lui. De là la tristesse des hommes qui écoutent, mêlée à la joie du petit qui chante. Le cantique le plus sublime qu’on puisse entendre sur la terre, c’est le bégaiement de l’âme humaine sur les lèvres de l’enfance ! Ce chuchotement confus d’une pensée qui n’est encore qu’un instinct contient on ne sait quel appel inconscient à la justice éternelle ; peut-être est-ce une protestation sur le seuil avant d’entrer ; protestation humble et poignante ; cette ignorance souriant à l’infini compromet toute la création dans le sort qui sera fait à l’être faible et désarmé. Le malheur, s’il arrive, sera un abus de confiance.

[...]

Victor Hugo, Quatre-vingt treize (1874),
début du Livre III « Le massacre de la Saint-Barthélémy »

Poèmes écrits spécialement pour cette soirée :

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