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Mais pourquoi le poulet a t’il traversé la route ?

C'était un beau poulet, en pleine fleur de l'âge,
Dédaigneux, arrogant, jouant les fier-à-bras.
Un beau poulet de Bresse, imbu de son lignage,
Mais, malgré son panache, un tantinet trop gras.

Ce poulet vivait libre au milieu de ses frères
Dans un champ bien herbu, bien tendre et généreux.
Du soleil ponctuel respectant les horaires
Il se savait comblé, mais n'était pas heureux...

Ce qui le chagrinait, c'était cette clôture.
Cette clôture dense aux crocs en fil de fer
Qui lui barrait la route... avec une droiture
Digne de la justice, était pour lui l'enfer !

Car dans le pré voisin vivait une poulette
À rendre son cœur fou, ses gloussements plaintifs,
Au beau plumage blanc, charmante et rondelette,
Dieu qu'elle était jolie avec ses airs craintifs.

Parmi toutes ses sœurs, il ne voyait plus qu'elle :
Sa crête vermillon, son doux balancement
Qui semblait l'inviter dans un mouvement d'aile
Lorsque ses yeux si noirs l'observaient doucement.

Lors, si bien que de coq il perdit sa superbe.
D'un air mélancolique, issu du mal d'amour,
Il traînait son malheur tout en grattant dans l'herbe,
Ne rêvant qu'à sa belle et d'une basse-cour.

Il se trouva soudain devant la porte ouverte.
N'en croyant pas ses yeux il vit dans cet oubli
Une chance incroyable à son bonheur offerte.
Ses ergots à son cou, son envol s'accomplit.

Ivre d'indépendance au bord de la grand-route
Avec pour tout bagage un colossal espoir
Il s'élance, insensé, vers celle qui l'envoûte
Et brusquement... Plus rien, plus rien qu'un grand trou noir !

Johanne Hauber-Bieth

© J. Hauber-Bieth, septembre 2000
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