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Desnos et le surréalisme

Desnos rencontre pour la première fois André Breton en 1920. Avec lui, avec Benjamin Péret, Aragon, René Crevel, Vitrac, Limbour, Ernst et quelques autres, durant l'automne-hiver 1922-1923, il participe à ce qu'on a appelé « les grands sommeils », séances soigneusement consignées dans les notes de Simone Breton et que Breton racontera dans divers articles de revues et dans le livre Les Pas Perdus. Voici ce qu'il écrit très longtemps après, en 1970 :

« Le soir autour de la table [...] les mains posées à plat sur le bois, faisaient ce qu'en langage hypnotique on appelle la “chaîne” et l'on attendait en silence dans l'obscurité que les phénomènes se produisissent. Un coup sourd : c'était le front de Desnos qui venait de heurter la table. Aussitôt on donnait un peu de lumière. Les yeux clos, il relevait la tête et, ou bien on comprenait qu'il allait parler et alors on s'apprêtait à noter ce qu'il dirait, ou bien, d'un geste toujours le même, il réclamait un crayon et du papier dont il couvrait précipitamment d'écriture ou de dessins de nombreuses feuilles. [...] Des écrits, tous de forme lyrique, se détachent spécialement à distance une ample production de jeux de mots d'un type absolument nouveau, jeux de mots résultant d'une des plus audacieuses opérations qui aient été tentées sur le langage. »

Et Aragon, dans un article écrit en 1924, évoque l'« épidémie de sommeil » qui s'abattit sur les surréalistes et insiste lui aussi sur les délires de Desnos :

« Au café, dans le bruit des voix, la pleine lumière, les coudoiements, Robert Desnos n'a qu'à fermer les yeux, et il parle, et au milieu des bocks, des soucoupes, tout l'Océan s'écroule avec ses fracas prophétiques et ses vapeurs ornées de longues oriflammes. Que ceux qui interrogent ce dormeur formidable l'aiguillent à peine, et tout de suite la prédiction, le ton de la magie, celui de la révélation, celui de la Révolution, le ton du fanatique et de l'apôtre surgissent. [...] Il parle, il dessine, il écrit. Les coïncidences accompagnent bientôt les récits des dormeurs. On voit bientôt naître l'ère des illusions collectives, et sont-ce après tout des illusions ? Les expériences répétées entretiennent ceux qui s'y soumettent dans un état d'irritation croissante et terrible, de nervosité folle. Ils maigrissent. Leurs sommeils sont de plus en plus prolongés. Ils ne veulent plus qu'on les réveille. Ils s'endorment à voir dormir un autre, et dialoguent alors comme des gens d'un monde aveugle et lointain, ils se querellent, et parfois il faut leur arracher les couteaux des mains. »

Justement il a fallu arracher le couteau des mains de Robert Desnos, qui le brandissait un soir contre Paul Éluard !

C'est aussi au cours de ces soirées que s'écrivent ou se transcrivent dans des séances de transes simulées ou réelles les anagrammes et contrepèteries de « Rrose Sélavy » inspirés par les recherches verbales de Marcel Duchamp.

Par exemple :

Pourquoi votre incarnat est-il devenu si terne, petite fille, dans cet internat où votre œil se cerna ?

Les orages ont pu passer sur Rrose Sélavy, c'est sans rage qu'elle atteint l'âge des oranges.

Transes simulées ou réelles ? Pendant vingt ans, Desnos a souvent répété à ses interlocuteurs méfiants : « Sommeil transe ? Simulation ?... Qu'importe ? ».

En 1923, probablement en février, Breton constatant une montée insoutenable des tensions lors de ces soirées y met fin définitivement. En 1924, il déclare dans un journal : « le surréalisme est à l'ordre du jour et Desnos est son prophète » et publie le Manifeste du Surréalisme où il souligne le rôle essentiel du « prophète » dans le mouvement.

En 1927, Breton, Aragon, Péret, Éluard, Unik font connaître leur engagement au Parti Communiste. Desnos ne les suit pas. De même, en 1929, lorsque, dans le groupe des surréalistes, les désaccords font rage à propos de l'action politique et que des exclusions sont prononcées, il ne se rend pas à l'invitation pressante de Breton à une réunion dite de « clarification » en avril 1929 et, qui plus est, il prend parti pour les exclus. En décembre de la même année, c'est la publication du Second Manifeste du Surréalisme, où sont décrétées de nouvelles exclusions, dont celle de Desnos, qui participe dès janvier 1930 avec d'autres exclus à l'écriture d'un recueil de violents pamphlets, intitulé Un cadavre. La rupture avec Breton est consommée, la polémique va continuer quelque temps, mais nous verrons bien tout à l'heure, dans les recherches incessantes de nouvelles formes poétiques et de nouveaux types d'utilisation des anciennes formes, tout le profit qu'a pu tirer Desnos de sa participation au mouvement surréaliste et avec quelle constance, avec quelle intelligence, avec quel cœur il a su peut-être le dépasser.

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