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L’évidence poétique

Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, Éluard a beaucoup agi - jamais il n'a cessé d'être un intellectuel révolutionnaire -, beaucoup écrit aussi. Les Yeux fertiles (1936) chante les deux faces du mystère bouleversant de la vie, l'amour et la poésie, et célèbrent la 

Femme avec laquelle j'ai vécu
Femme avec laquelle je vis
Femme avec laquelle je vivrai
celle qui met au monde
un corps toujours pareil
Le tien

celle en qui vient se mirer la nature.

L'année 1936, celle où se tient à Londres l'exposition internationale du surréalisme, Éluard prononce à l'occasion de cette exposition une conférence : L'Évidence poétique. S'il y célèbre toujours le surréalisme, qui a travaillé à « réduire les différences qui existent entre les hommes», il appelle l'homme à s'emparer de « tous les trésors aussi bien matériels que spirituels qu'il entasse, depuis toujours, au prix des plus affreuses souffrances, pour un petit nombre de privilégiés aveugles et sourds à tout ce qui constitue la grandeur humaine » ; en même temps, il y définit le poète comme celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré, ajoutant : « Les poèmes ont toujours de grandes marges blanches, de grandes marges de silence où la mémoire ardente se consume pour recréer un délire sans passé. [...] Tant de poèmes d'amour sans objet réuniront, un jour, des amants. On rêve sur un poème comme on rêve sur un être. » Cette prise de position montre un élargissement de la vision du monde et du rôle que doit y jouer la poésie : liberté, communion, partage sont les maîtres mots des œuvres de cette période : Les Mains libres (1937), le poème Solidarité (1938) illustré par Picasso, Miró, Tanguy, Masson et vendu au profit des défenseurs de l'Espagne républicaine, Cours naturel (1938), Chanson complète, Donner à voir (1939), enfin, qui s'offre comme un bilan. Éluard l'a voulu ainsi : « Je termine mon livre Donner à voir. Tout ce qui concerne les peintres surréalistes y figurera. Tous les textes sur la poésie aussi. Et tous les rêves, toutes les proses poétiques. » Donner à voir est la tâche de tout créateur, foyer à la fois de convergence et de rayonnement. Cet ouvrage permet de comprendre la réflexion esthétique d'Éluard et place en son centre la figure repère de Picasso.

En 1951, Éluard rassembla les recueils écrits entre 1932 et 1938 (la Vie immédiate, La Rose publique, Les Yeux fertiles, Cours naturel) sous un titre commun : La jarre peut-elle être plus belle que l'eau ? De cet assemblage naît une nouvelle cohérence et se dessine un mouvement qui va de la solitude à la fraternité construite, des tentations d'une poésie nocturne à celles d'une poésie décidée à changer la vie et à accepter pour cela l'union avec les êtres, les choses, le mystère lumineux du monde, et à combattre les « bâtisseurs de ruines ».

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