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Sa poésie

Marina Tsvétaïéva consigne chaque jour dans des cahiers tout ce qu'elle écrit, que ce soit en vers, ou en prose. Parfois, ces brouillons demeurent inutilisés.

Pour moi, un poème de Marina Tsvétaïéva ne se lit pas, il se vit, et j'aime me laisser saisir par son pouvoir d'envoûtement. Elle utilise un vocabulaire simple, sans fioriture, lapidaire, ce qui rend sa poésie d'autant plus efficace. La mise en situation est immédiate, le sens très clairement dégagé. Le poème ne naît pas de la forme, mais de l'évocation qu'elle fait surgir.

De sa poésie prise dans son ensemble comme du moindre vers elle exige « une vérité de tous les instants ». « Mes poèmes sont un journal intime », dit et écrit Marina Tsvétaïéva dès le commencement de son écriture. Ainsi, chacune de ses œuvres est liée à un fait authentique, un événement, une émotion vécue. Mais, bien souvent écrit pour un motif concret, son poème devient prétexte à transposition sur un plan différent, plus élevé, lyrique.

Invité à donner son opinion sur Marina Tsvétaïéva, qu'il a bien connue, le poète Joseph Brodsky confie que, au milieu du concert des meilleurs poètes, la voix perçante de Marina Tsvétaïéva est celle d'une éternelle insurgée. Il précise que, portée par son amour de la langue, elle se laisse griser par l'entrechoquement des cadences et la sonorité des mots et que son art inimitable se ramène en fait à un tic tac, un tic tac obsédant.

Elle recherche des termes originaux, accouple et oppose des mots assonancés mais aux significations différentes, pour que de leur choc naisse une métaphore qu'on n'oublie pas. Elle bouscule la syntaxe et la prosodie, transforme la musique en une succession de clameurs. Souvent elle supprime le verbe dans ses phrases, ce qui leur donne l'allure haletante d'un appel au secours ou d'une confession publique. Elle joue aussi avec la similitude entre deux mots et elle les fait se répondre, rimer, éclater dans une confrontation quisuggère une image. Par exemple, elle utilise la ressemblance entre le mot riéka (pluriel riéki), la rivière, et le mot rouka (pluriel rouki), les mains. Elle joue à les heurter dans un même thème, et associe les mains (rouki) tordues par la douleur aux célestes rivières (riéki) et aux terres azurées où le bien-aimé attendqu'elle le rejoigne (poèmes du recueil Le métier). Ou bien exploitant les sonorités voisines du mot iédok (le mangeur) et du mot iézdok (le cavalier), elle évoque dans un autre poème un coursier en flammes à l'appétit dévorant (iédok), chevauché par un cavalier de feu (iézdok)lui-même jamais rassasié. Dans de pareils cas, ce sont les surprises de la phonétique qui marquent l'inspiration de Marina Tsvétaïéva. Très difficile à traduire, il en résulte une poésie à la fois concise, brusque, incantatoire, pleine d'ellipses, d'exclamations, de ruptures, marquée également par l'utilisation des tirets et des parenthèses. Marina Tsvétaïéva dans ses poèmes ne parle pas : elle crie. Elle crie de douleur, d'angoisse, d'amour, d'indignation et de peur.

Marina Tsvétaïéva est une passante de l'éternité qui se faufile avec son chant en disant que

la plus belle victoire
sur le temps et la pesanteur
c'est peut-être de passer
sans laisser de trace
de passer sans laisser d'ombre.

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