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L’épicier

Il parle le patois mais aussi notre langue
Avec l’accent, c’est vrai, qui trahit son pays.
C’est de chez lui que vient le couscous ou la mangue
Que l’on aime à servir, à table, à nos amis.

Il ouvre le matin, on le voit de la chambre,
Avant que bien des gens ne soient encore levés.
Et du premier janvier au trente et un décembre
Ferme après que chacun, le soir, est arrivé.

Au client qui le croise au pied de l’étalage,
Il adresse un sourire, assorti d’un bonjour.
On ne l’a jamais vu qu’avec un seul visage,
Celui qu’il a montré dès le premier jour.

Il parle aussi l’anglais, mais ne sait pas l’écrire,
Il a quitté l’école à l’âge de six ans
Pour aller travailler, avant d’apprendre à lire,
Aux travaux de la ferme avec un paysan.

Il ne regrette pas, c’est pour ça qu’il en cause,
Ce temps qui l’a conduit pendant plusieurs étés
À comprendre, tout seul, la vie et bien des choses
Qu’à certains, nostalgique, il se plaît à conter.

Mais il ne comprend pas pourquoi, là, dans sa ville,
On demande à son fils aujourd’hui ses papiers
Le priant de se taire et de rester tranquille,
De se coller au mur et d’écarter les pieds.

Gérard Cazé, in Soif de mots, tome 24, 2009

 

 

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