Version imprimable

Relligio*

L'ombre venait ; le soir tombait, calme et terrible.
Hermann me dit : - Quelle est ta foi, quelle est ta bible ?
Parle. Es-tu ton propre géant ?
Si tes vers ne sont pas de vains flocons d'écume,
Si ta strophe n'est pas un tison noir qui fume
Sur le tas de cendre Néant,
Si tu n'es pas une âme en l'abîme engloutie,
Quel est donc ton ciboire et ton eucharistie ?
Quelle est donc la source où tu bois ? -
Je me taisais ; il dit : - Songeur qui civilises,
Pourquoi ne vas-tu pas prier dans les églises ? -
Nous marchions tous deux dans les bois.
Et je lui dis : - Je prie. - Hermann dit : - Dans quel temple ?
Quel est le célébrant que ton âme contemple,
Et l'autel qu'elle réfléchit ?
Devant quel confesseur la fais-tu comparaître ?
- L'église, c'est l'azur, lui dis-je ; et quant au prêtre... -
En ce moment le ciel blanchit.
La lune à l'horizon montait, hostie énorme ;
Tout avait le frisson, le pin, le cèdre et l'orme,
Le loup, et l'aigle, et l'alcyon ;
Lui montrant l'astre d'or sur la terre obscurcie,
Je lui dis : - Courbe-toi. Dieu lui-même officie,
Et voici l'élévation.

* "Relligio" : deux « l » (sic).

Écrit le 10 octobre 1854
Date portée sur l’édition : mai 1830
Victor Hugo, Les Contemplations, 1856

 

PrécédentSuivant