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Le récit de la Dame de Bath (extrait)

Quand Arthur vivait à l'ère ancienne,
Sire aimé de tous, breton et sa mienne,
Au pays rempli de fées et lutins,
Circulaient partout des elfes, des nains.
Ces elfes dansaient parmi les feuillages,
C'est du moins narré dans quelques adages,
D'un livre ancien fait au temps jadis.
Mais nul n'y croit plus en quinze cent dix,
Car c'est, maintenant, prêtres en services,
Qui purgent les airs de leurs saints offices,
Parcourant les champs, les bourgs dès l'éveil,
Et, plus nombreux que mouches au soleil !
Bénissant logis, villes et villages,
Tourelles, châteaux, cours et pâturages,
Balayant partout les nains des jardins,
Les elfes, les fées et tous les lutins.
Où l'on rencontrait elfe dénudée,
À la place on voit robe assermentée !
Mâtines disant du soir au matin,
Du premier de l'an, prêchant, à la fin !
Marchant à travers petit bourg et ville,
La femme, aujourd'hui, peut être tranquille,
Sous tous les bosquets, sans nul autre ennui,
Elle ne verra d'incube que lui !
Non, nul animal qui griffe ou qui tue,
Que notre vertu nous sera perdue !

Il arriva donc, comme je vous dis,
Sous Arthur le roi, les preux, les hardis,
Qu'un chevalier, coquin véritable,
Chevauchant un jour, dans un bois d'érable,
Vit une pucelle, errante, aux abois,
Seule et éperdue à travers les bois,
Et de cette vierge, en brèves étreintes,
Il perça la fleur, en dépit des plaintes !
Cette violence, oh ! fit tant de bruit,
Tant que décida le roi ce qui suit :
« De le condamner à perdre la tête,
À la pendaison, telle est ma requête. »
L'État semblait bien suivre cet édit,
Mais non pas la cour, et la reine dit :
« J'implore mon roi d'alléger la peine. »
Sitôt il céda le cas à la reine,
Pour le corriger et pour le juger,
Soit le grâcier ou le condamner.
Elle remercia son Sire avec grâce,
Puis fit demander l'écuyer sur place,
Elle dit alors droit sa volonté,
Et son avenir lui fut projeté :
« Votre corps n'est sauf d'aucune manière,
Mais votre esprit, sauf, si, question première :
Qu'est, pour la femme, son plus cher désir ?
Votre attention du risque à courir ;
Si vous ne pouvez sur-le-champ le dire,
Vous aurez le temps de chercher, de lire,
Le temps d'une année, un an et un jour,
Puis de nous donner réponse au retour.
Des gages courrons, comme des enchères,
Tant sur votre corps, que toutes vos terres. »
Hélas ! l'écuyer triste soupira,
Mais, sans autre choix, il se retira,
Et prit le parti de la randonnée,
Et de revenir au bout d'une année,
D'un an et un jour, réponse à la main,
Pria, se signa, suivit le chemin...

Il frappa partout les recoins, les places,
Partout où pointaient quelques bonnes grâces :
« Que la femme donc désire le plus ? » [...]

Vénus Prin’s
d’après Geoffroy Chaucer (1340-1400)

© Vénus Prin’s
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