Version imprimable

Le couloir de la mort

Lorsqu'un homme meurt quelque part dans le monde, je me sens diminué, parce que je suis l'humanité. C'est pourquoi je ne demande jamais pour qui sonne le glas, car je sais que c'est aussi un peu pour moi.

Ernest Hemingway

 

Mon avocat m'a dit : » Courage ! Il faut attendre,
Injuste ce verdict, la loi va décider
Ils vont y réfléchir, peut-être le suspendre
Confiance mon gars, seul Dieu peut nous aider. »

Pas loin dans le secret un jury délibère ;
Il est minuit déjà, dans le calme j'attends,
On ne veut m'écouter, je me tais et j'espère,
Souffrance en continu : J'attends depuis vingt ans...

Me surveille attentif à chacun de mes gestes
Planté devant ma porte un gardien vigilant,
Racisme, parti-pris sont ici manifestes :
Nette, sa mission, je suis noir, il est blanc !

Des minutes de plomb : je sais c'est dans une heure,
Je garde le silence, à quoi bon les discours ?
S'en remettre au destin serait sans doute un leurre,
Mais je reste optimiste ; Et si tombe un recours ?

UNE heure du matin, le vigile m'annonce
Qu’on vient de repousser mon exécution
Là, je tombe à genoux : est-ce bien la réponse
Que je n'attendais plus dans ma contrition ?

Je n'avais aucune arme et n'ont aucune preuve
Sept sur neuf des témoins qui se sont rétractés,
Judiciaire erreur - la chose n’est pas neuve-
Pourquoi ces arguments ne sont point respectés ?

Le ciel vient-il m'aider à sortir de l'impasse,
Est-ce une mise en scène, un possible retour ?
Ne sais plus où j'en suis, affreux ce temps qui passe
Je transpire, je pleure et tremble tour à tour.

DEUX heures du matin, mon corps pèse une tonne
On dirait que ces murs sur moi vont s'effondrer
Dans mon obscurité, je cherche, je tâtonne,
Voilà mon chapelet qui m'incite à prier.

TROIS heures du matin et l'issue incertaine,
Je fais le vide en moi, je pense à tous les miens,
À tous ceux qui m'ont cru, leur tentative vaine,
À ma jeunesse enfuie, aux souvenirs anciens.

QUATRE heures du matin, je vois ma sentinelle
Ne bougeant pas d'un pouce, en éveil, elle attend ;
C'est long...j'ai froid, j'ai peur :une crainte nouvelle
Vient m'étreindre le cœur :en ai-je pour longtemps ?

Et contre toute attente à CINQ heures précises
On vient me ligoter dans le dos les deux mains ;
Ces quatre heures pour rien, l'espoir n'est plus de mise
Et je dois accepter un sort sans lendemains...

Dans ma lutte si longue au fil de ces années
Que de fois ai-je dit que j'étais INNOCENT,
Pot d e fer, pot de terre, espérances fanées
Pour d'aucuns la justice est faite dans le sang !

Je marche digne et droit vers la fin de ma route
Observant ce témoin à l'air condescendant
Ma prière, il le sait, ne sera pas absoute,
Curiosité, elle, est vive cependant !

Ah ! Voir quelqu'un mourir, mais quelle joie immense,
Faut-il être pervers pour jouir du moment !
Un férocité vit en eux en semence
Et pourtant ils survivent, on ne sait pas comment...

Au respect d’une loi de la grande Amérique
Combien m'ont précédé sur ce chemin de croix !
Mais tous se sont nourris d'un espoir chimérique,
Aucun juge n’entend un appel de leur voix.

Cent-trente-sept états sont abolitionnistes
On en compte aujourd'hui de plus en plus, tant mieux !
Dieu, sois donc généreux, que s’allongent ces listes
Que tous les innocents puissent vivre plus vieux.

Ray Charles, mon ami, toi face à l’Atlantique,
Les negro-spirituals et les champs de coton,
Ne chante plus « Georgia », cette chanson mystique
On t’entendra encor mais t’écoutera-t-on ?

À quoi bon s'insurger, la justice où est-elle ?
Tumulte en mon esprit : Je te rejoins maman !
Car on vient d’injecter la piqûre mortelle
Mais mon cœur continue à battre lentement...
 

Adrien Cannaméla pour T. D.

Troy Davis, 42 ans, a été exécuté en Georgie (U.S.A) le 21 septembre 2011, à 23h08 (le 22 à 5h08, heure française).

©A. Cannaméla
PrécédentSuivant