« C’est enfantin ! » ne cessait-il de répéter, le Sceptre à la main ; « C’est véritablement enfantin !... D’ailleurs, je ne comprends toujours pas comment, depuis toutes ces années, un enfant de dix ans n’ait pas eu, avant moi, l’idée de ce spectacle... »

Et, joignant le geste à la parole, il refaisait devant son auditoire captivé le même geste exact du bras, puis le mouvement parfait de la main, bouclant dans l’espace le trajet imaginaire avec une précision d’horloger. Et comme à chaque fois, les ciboises multicolores, les filaments nacrés d’ortanoles, les libioles naines, les sinuziles dorées, après s’être corolisés sans bruit, se mettaient à vibrillonner dans l’air en bruissements soyeux ; À chacune de leurs éclosions les murs se recouvraient de mousse de festule, et d’enivrantes odeurs de germoise se déposaient au sol. Sans fatigue apparente, l’homme répétait son geste de métronome, et aussitôt une flottille d’épinèches répandait leur couleur d’ambre et leur senteur d’anis, tandis que des anneaux cristallins de pierrite allumaient leurs cercles de dentelle au dessus des spectateurs. Chaque élève en restait étourdi d’admiration, et aucun d’entre eux n’aurait cédé sa place pour tout l’or du monde.

La Master class prit fin sur cette apothéose... et l’heure du concours arriva...

Alors que tous s’attendaient à plusieurs heures de joute créative, le premier élève à monter sur scène et à se saisir du Sceptre d’Amboizite Sacré exécuta - d’un seul coup - un geste si agressif, si glacial, si sombre... Que tout disparut instantanément...

Tout...

Les éperloques, les vizules, les capilains striés, même les tourlinois à grosses mailles se désagrégèrent immédiatement ; Des chauvignères de plusieurs mètres de hauteur s’enflammèrent en une fraction de seconde, dégageant une fumée acide dans laquelle s’enviscéraient les oiseaux de passage ; L’immense caluzal du plafond - pourtant scellé dans la masse par huit pédarans de bronze - chuta d’un bloc, faisant plusieurs dizaines de victimes ; La faune ignorée du plancher (milonois à têtes d’achaises, crissotins des prés, vibrillons des marais, pirozites du foin) bondissait hors de sa cache et s’enfuyait en poussant des cris d’oktères ; Les nuages étaient saturés d’akérite, et la lumière du jour semblait une lueur filtrée de cachot. L’air se mit à sentir la rouille et grinçait en brûlant, jusque dans les poumons.

En moins de dix minutes, il ne resta plus rien qu’une nuit sur des cendres. Tenant toujours dans sa main le Sceptre Sacré, l’élève, radieux, se nourrissait de cette désolation... Tant s’enivrait-il de son nouveau pouvoir, qu’il ne vit approcher le Maître...

Ce dernier se figea à quelques mètres derrière lui puis, brusquement, d’un geste de scalpel, traça dans l’air la forme d’une déchirure ancestrale. Et l’élève s’effondra... Mort.... Et la Terre but son corps.

 

Alors, dressé sur les ruines, le Maître, des deux mains, dessina face au ciel dévasté une ample courbe venue du fond des âges... et la Vie resurgit des décombres : Airettes, merlinoises et lamparies jaillirent du sol en répandant d’entêtantes odeurs de flanchette. Les arbres s’embourgeonnaient en exhalant le chant des manguanites et les trilles assourdissantes des pectoises ; La cendre des ruines s’effiolait en un tapis de frémantines, et les pierres brisées s’inverturaient les unes aux autres pour former de somptueuses bâtisses aux murs lamperlés d’aguatons ; Des buissons protecteurs servaient de niches à des couvées d’étrinioles, et sous les soleillines ombrageantes faune et flore se disputaient la palme du renouveau. Haut dans un ciel redevenu transparent, un couple de flavines royales cerclait l’air de leurs vols suspendus. Un printemps nouveau-né aux tiédeurs de miéloise repoussait mètre à mètre les derniers tranchants du désastre, et quelques étoiles téméraires, sans attendre la nuit, s’aventuraient dans un ciel lavé de frais. Les nuages se déroulaient au rythme des cercloises, et les battements du soleil les faisaient onduler en immenses embardées que les oiseaux marins prenaient pour une écume. Sans en garder trace dans leurs mémoires, les morts se redressaient ; Les briques de la Vie se rescellaient ; Les mots, les gestes et les paroles se réemboîtaient à l’identique. Le Temps raccrocha ses wagons, et le spectacle reprit sans qu’aucune conscience ne se souvînt de cette apocalypse... Et chacun aurait juré que rien n’avait jamais cessé, que d’être harmonie, et douceur.

Sur scène, seul le Prophète remarquait l’absence d’un de ses élèves...

Seul, il lui offrit son pardon...

Égaré dans son royaume de Glace, le mort s’y réchauffa.

© Christian Gros