Où sont mes tiges d’antan ?

Mes pensées courent sans mes jambes
Dans cette nuit apode
Mes yeux s'ouvrent avec difficulté
Dans le black-out général
Où je cherche un appui, un signe,
Pour m'empêcher de boîter.

Passe parfois dans l'obscurité
Un spectacle étrange :
Entouré de cinq voyelles lumineuses
C'est la jambe de Rimbaud
Qui traverse, torturée
Les ténèbres des poètes.

Les jambes flottent insensibles
Sur un alexandrin bancal
Rescapé de douze apôtres
À l'heure blanche de la nuit
Et moi, Lucifer clopin-clopant
Je m'agrippe aux ombres livides.

Dans un impossible enjambement
Aux poteaux instables
Je vais en ingambe mal campé
Claudiquer dans un silence hostile
Repoussant avec horreur
Un rêve de cul-de-jatte.

Mollets à la traîne, fémurs récalcitrants
Couturiers déficients, abducteurs en vadrouille
Cliquetis de mes os, chuintement sinistre,
Je vacille, je titube, je flageole,
Lointaine sustentation,
Pleure en sol mineur mon astragale.

Marcher, trotter, courir, que non !
S'asseoir devant la fenêtre, écrire,
Ne plus mettre les pieds dans le plat,
Fantassin réformé, trublion invalide,
Infirme interloqué devant un chausse-pied inaccessible,
Glorification de mon bas fonds.

Sommeil impossible du lit au fauteuil
Combat douloureux du fauteuil au divan
Impuissance détestable, cheminement d'aveugle,
Des objets qui me heurtent, des murs qui se dérobent
L'appui inexistant pour cette tour de Pise
Ne pas tenir debout, avec cette rage au cœur !
Ne restent que les bras, ne restent que les mains
Pour mordre dans la vie offensive,
Ne reste que la tête, ne reste que l'esprit
Pour s'imaginer encore en équilibre
Je demeure confiant et garde la patate
Même si le destin veut me couper les pattes !
 

Adrien Cannaméla
13 oct. 2009, 2h50

 
©A. Cannaméla