Vicky Messica
Par Charles Dobzinski

homme orchestre,
fondateur du théâtre
et de la compagnie

 

Il est des lieux où souffle l'esprit, disait Maurice Barrès.

Il est des voix aussi où l'esprit reprend souffle, où la beauté de la parole trouve sa plus pure résonance.
Des voix qui vous hantent parce qu'elles ont l'accent tonique, l'accent de la vérité d'être, le timbre qui permet aux mots de s'affranchir de toute pesanteur, de franchir tous les murs du son, dans le cœur et dans la mémoire.

Parmi ces voix, celle de Vicky Messica par laquelle, sur scène ou sur les ondes, la poésie de notre temps, comme celle de Rimbaud, de Cendrars ou d'Apollinaire, nous a offert sa table d'écoute, une table pour un festin de l'oreille et du sensible.
Pour moi, en premier lieu, Vicky Messica est le porteur privilégié de ce message du dire, d'un art du dire qui tend de plus en plus à se perdre ou à se dilapider.

L'art du dire n'exige pas seulement un métier parfait de l'élocution, : savoir établir et équilibrer les mots dans l'espace, accorder pleinement leur rythme à la respiration, ménager dans le texte les blancs d'une ponctuation créatrice du tempo ; c'est aussi et surtout donner vie à un texte, le saisir à bras le corps, s'identifier à son sens profond, à sa pulsion, à sa capillarité sonore et sensorielle, à la pulpe de ses images et au filigrane de ses allusions, de ses litotes, parfois de ses opacités.

C'est en cet art que Vicky Messica est passé maître.
Car son interprétation des textes les plus aigus, les plus ardus, n'est jamais unilatérale. Sa voix les module, sa pensée les modèle.
Il est celui qui transmet, tel quel, dans sa force et ses méandres, un texte par exemple aussi célèbre que la Prose du Transsibérien.

Et que dire du metteur en scène du Lazare d'André Obey, de Gilles de Rais de Huidobro, qu'il a adapté avec Marc Legrand, entouré de 20 comédiens, des Fils du soleil de C. Hampton qui met en scène Verlaine et Rimbaud, de l'étonnante Famille Brontë et plus récemment de Blaise comme Cendrars.
Je l'ai vu diriger les acteurs lors des répétitions de tel ou tel spectacle, je ne l'ai jamais pris en défaut de complaisance ; il parvient à transmettre à ses comédiens le son, le geste, le mouvement qui rendront inévitable le personnage.
Il ordonne, agence, touche à ce qu'il y a d'indicible en eux jusqu'à leur faire passer en ondoiement, une radiation secrète, quelque chose d'insoupçonné qui les surprend dans leur vérité, créant du même coup leur exigence.

Acteur sous sa direction, spectateur sous son influence, à l'issue de ses spectacles, on a l'étrange sentiment d'un mieux-être.
On se sent justifié.
Simplement le rencontrer vous donne envie de vivre différemment.
Avec le Théâtre Les Déchargeurs qu'il a fondé et qu'il dirige, il met à la disposition d'auteurs originaux, anciens ou nouveaux, des pièces parfois inconnues, un véritable banc d'essai comme il en existe trop peu à Paris.

Vicky Messica : un Orphée de notre temps non seulement virtuose de la lyre des poètes, mais, pour notre bonheur, homme orchestre.

À ce jour Vicky nous a quittés mais son esprit est toujours présent.

Les amis de La Cave à Poèmes et moi-même, nous nous souviendrons longtemps de sa participation aux soirées de La Cave.
Quand le temps le lui permettait, Vicky me disait :
- Ce soir je dirai un poème ! je te ferai signe.
Il s'installait dans l'escalier, regardait à travers les barreaux en bois et, là, attentif, il écoutait les poètes.

Vicky était discret et avait un profond respect pour les poètes et amis de La Cave.
Son regard croisait le mien, il me faisait signe de la tête : non ! en fronçant les sourcils ou alors oui ! avec un large sourire et je l'annonçais, il descendait et, humblement, il disait une œuvre d'un ami ou parfois en faisait la lecture.

C'était toujours un moment d'émotion partagé, comme on partage le pain entre êtres humains qui ont faim.

Gérard Trougnou