Je voudrais vivre dans un pays où les gens sont gentils comme des fourmis, et les escaliers tout plats. Mais maman me dit que le monde est pas comme ça, que les escaliers montent toujours, et quand ils descendent c’est qu’on les dégringole, et que si les gens sont des fourmis, ce sont des fourmis travailleuses et exploitées, mais je comprends pas ces mots-là. Je voudrais que Madame Dodièze, c’est les Grands qui l’appellent comme ça, Madame Dodièze, ma prof de musique, soit ma maman, tellement elle est gentille. Mais maman dit qu’elle aussi elle connaît la musique, et que c’est pas un prof qui va lui en raconter, parce qu’à 14 ans elle était à l’usine, elle, et l’usine de poissons, en plus. Et les morues, elle connaît. Mathieu, mon amoureux, il est beau ; En classe je suis assise derrière lui et je regarde ses cheveux. Je voudrais qu’il vienne à la maison mercredi pour le goûter, mais maman dit que les garçons ils sont toujours prêts pour goûter, mais qu’après ils vont voir ailleurs, méfie-toi d’eux comme de la peste, ma fille. J’aime bien maman. Mais un jour je la tuerai. Je ferai un trou dans le jardin. Je la mettrai dedans avec des peluches et des bonbons. J’arroserai tous les jours. Et quand elle refleurira, elle sentira le sucre et elle sera douce comme un doudou.

Christian Gros

© Christian Gros