Je reviens tout juste du supermarché, où je suis allé acheter quelques provisions indispensables lorsque l’on habite, comme moi, dans une caravane : De la poudre de fée ; Un bâton de perlimpinpin ; et un dromadaire... Ce dernier article n’étant vendu que sous sa forme lyophilisée - pour d’évidentes raisons d’encombrement - le problème de la réhydratation de l’animal s’est posé à moi, comme à chaque fois, hélas, car je ne possède pas de récipient assez vaste pour permettre à la bête de se déplier en une fois. Et, comme à chaque fois, je ruse : je découpe le dromadaire encore sec suivant des lignes anatomiques précises ; j’imbibe les morceaux un par un dans ma cuvette à linge ; puis je soude les diverses parties entre elles grâce à la poudre de fée, cette dernière ayant le pouvoir de cautériser instantanément les plaies fraîches...

Le bâton de perlimpinpin, lui, ne sert à rien... Mais il est si beau !... Je ne sais jamais résister à son achat ! Et je le range précieusement, comme à chaque fois, dans mon petit logement.

Une fois cicatrisé, j’attache le dromadaire à l’avant de ma caravane. Je lui tire alors un coup de chevrotine dans l’arrière-train, et nous filons droit devant, écrasant parfois quelques vieilles qui se trouvent dans l’axe de fuite de la bête en douleur.

C’est ainsi que je me déplace depuis des années... Mon attelage est renouvelé dans chaque grande ville rencontrée, car chaque dromadaire ne survit finalement que peu de temps, sans doute d’ailleurs à cause du coup de chevrotine qui doit favoriser, je pense, la date de péremption de l’animal.

Au fil des années, les bâtons de perlimpinpin ont totalement envahi l’intérieur de ma caravane, au point de réduire considérablement mon espace vital. Et, aujourd’hui même, à l’instant où j’écris ces lignes, étant parvenu à pousser le dernier bâton par l’orifice d’aération du toit, je m’aperçois que je ne peux plus ouvrir ma porte sans risquer de mettre à bas des années de rangement minutieux. Ne pouvant définitivement plus réintégrer ma demeure, j’ai donc tiré sur la bête mon ultime coup de fusil et je regarde, le cœur serré, toute ma vie s’enfuir au galop...

Christian Gros

© Christian Gros