Temps béni sans batteuses ni faucheuses où les poules déconfinées jouent dans les prés, avec les pangolins, à saute-grains de soleil.
L'arbre qui s'ébroue de ses branches de quelques foudres mortes n'a plus peur et la scie déposée à ses pieds lui sussure quelque parfum de rouille.
Le ciel cicatrisé, débarrassé de ses anciennes lacérations, n'a plus dans la bouche ce goût liberticide empoisonné de kérosène.
L'air s'est recomposé, purifié, et se livre tout entier aux cris d'oiseaux.
On n'a, de mémoire d'ange, jamais vu ni entendu, entre des pierres d'immeubles et les bras désarmés des grues de fer, autant de tourbillons joyeux de plumes et de becs.
Pour une toute première fois, les habitants de la forêt, de la terre souterraine ou du lit désenchainé des rivières, s'invitent dans la ville.
Le corbeau et le renard se sont réconciliés et partagent ensemble au fond d'une poubelle quelques vieux rogatons de fromage abandonné.
La biche ose passer entre les murs sans la crainte et l'ombre d'un fusil de chasse, des écureuils dévergondés grimpent aux troncs des réverbères.
Les hérissons, sur des routes désormais vides, s'abandonnent sans risques aux douceurs d'un très précoce été
Tout être de poils, d'ailes ou de carapace, arrive du plus lointain coin de sa campagne et rejoint la grand'place. C'est la fête animale. Le présent du présent offert sans plus de glyphosates.
L'entre-deux bruits et fureurs, l'entracte du dérisoire et tragique théâtre des frénésies humaines.
L'instant magique où chacun, chacune, dans un fond d'atmosphère depuis peu décarbonisé, peut enfin et provisoirement se dire :
- « I CAN BREATHE » !
© Éric Lemière, juin 2020, après le confinement
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