À Monsieur Trougnou, pour la déploration de son départ Poème d'Yves Alain
Gérard Trougnou, toile électronique de Marielle-Frédérique Turpaud
Ainsi, Monsieur, vous nous quittez
Pour Pays du Perche, dit-on.
Qu'importe le lieu, vous partez,
C'est cela que nous regrettons.
Vous nous aviez accoutumés
Depuis longtemps à ce départ ;
Mais le Temps, comme la fumée,
S'il nous fait signe, c'est trop tard !
Nous sommes étourdis, Monsieur ;
Des enfants amusés riraient de nous
Qui pourtant savons mieux
Que le Temps coule sans arrêt
Et que le fleuve d'une fois
Jamais ne remonte à sa source.
Vous nous avez distraits, ma foi,
Du doigt nous montrant la Grande Ourse,
Des affres du chemin vers le port,
Sage magicien portant
Chapeau pointu étoilé d'or,
Robe bleu nuit couleur du Temps,
Non la blafarde faux d'Ankou*,
Non les vieux crânes arçonnés,
Mais la lunette à votre cou,
Le cor joyeux prêt à sonner
L'embarquement pour Poésie.
Vous fûtes, Monsieur, postillon
Heureux de cette voie choisie
Dont tous nous nous émerveillons ;
Nocher de la barque de Vie,
Car Vie est le voyage au port.
Vous le saviez, trompant l'envie
Des tièdes, des mous, non des forts.
Tout cela, Monsieur, vous le fûtes
Avec ardeur, ténacité.
Grognant parfois, toujours vous sûtes,
De rame sûre en fouet dompté
Tenir ferme et droit notre cap ;
Vous le saviez pour vous, pour nous
Foin des obstacles, handicap,
Le temps n'est pas de nos genoux !
Pugnacité, sincérité
Illustrent l'homme que vous fûtes
Dans ce combat pour Vérité,
Non pour chercher vaines disputes.
Et l'étendard de votre nom
(Trougnou ça vous a de la gueule !)
Grondant au vent mieux que canon
Arrachera du sol nos meules
Longtemps après que vous serez
Parti en Terres de Rotrou
Vous donner doux loisir d'errer
Dormir au fond de quelque trou
De verdure au chant du ruisseau,
Guignant de l'oeil, non l'étourneau,
Mais l'heure exquise du cuisseau
Mis en pâtés par Ragueneau
Poète qui premier saisit
Que les beaux vers et les fourneaux
Font bon ménage en poésie
Honneur à Monsieur Cyrano !
Allez en paix vers le pays
Du franc labeur, Terre française
Où l'Art permet la rêverie
Goûtez-en le charme à votre aise
Buvaillez** à ses fraîches sources ;
Bien loin de s'alibertiner***,
C'est à l'esprit donner ressources
Comme le lait au nouveau-né.
Sur ses collines, connaîtrez
Les joies d'une autre belle vie
En retraite, non retraité
(L'art, non le lard est votre envie).
Et quand, l'âme rassérénée,
Vous quitterez ce plaisant lieu,
Pensez à nous, enfants mal nés,
Si**** à Paris devenons vieux !
Et n'oubliez ceci : Mémoire,
Mémoire engendra Poésie.
Tout là-bas concourt à sa gloire,
Si bien Le Perche est Poésie.
© Yves Alain
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* Non pas l'inverse faux d'Ankou
Ni les vieux crânes arçonnés
** vocabulaire du Perche : boire beaucoup et fréquemment in Le Littré : Le Vocabulaire du français des Provinces, sous la direction de Claude Blum
*** vocabulaire : v.pr. Se livrer à la débauche (même source que le précédent).
**** valeur de tellement, à tel point ou de... pourtant, même ainsi.
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