Coups de foudre | Années toscanes :1975-1993 En 1975, Léo Ferré dirige sur scène plusieurs orchestres symphoniques. Dans ces spectacles, il mélange Ravel, Beethoven et ses propres compositions, et inverse le placement de l'orchestre. C'est une expérience de spectacle inédite, cassant les conventions et décloisonnant les univers. Ferré fait salle comble durant cinq semaines au Palais des Congrès à Paris, mais la critique issue du monde musical classique rejette ce spectacle hybride. Il en est profondément blessé et, la cabale faisant son œuvre, il éprouvera des difficultés à refaire ce genre de spectacle. Faute de pouvoir être accompagné par un grand orchestre et plutôt que de se produire sur scène en petite formation, Léo Ferré fait le choix de s'accompagner tantôt au piano comme à ses débuts, tantôt de chanter sur les bandes-orchestre de ses enregistrements studio. En 1976, recouvrant le droit de s'enregistrer, il signe chez CBS. La majeure partie de ses enregistrements sera réalisée avec l'Orchestre symphonique de la RAI, placé sous sa direction. La major va très vite se débarrasser de Ferré, dont les retombées commerciales sont jugées trop faibles. Lâché par le « métier », dégoûté de n'être qu'une « marchandise pour les producteurs », Ferré se résout en 1979 à assurer lui-même la production de ses disques en louant à ses frais studio, musiciens et techniciens, ne signant plus que des contrats de distribution avec les maisons de disques, et cela jusqu'à la fin de sa carrière. De 1976 à 1979 il tourne moins et s'éloigne quelque peu de l'expression de sa révolte violente pour ne pas s'enfermer dans celle ci. Ses albums Je te donne (1976), La Frime (1977) et Il est six heures ici et midi à New York (1979) manifestent un lyrisme toujours charnel mais d'une plus grande sérénité. Ferré a accumulé de nombreux textes et il compose sans cesse. Tout cela se range dans ses tiroirs et attend son heure. En 1977 il fait les maquettes d'un troisième album consacré à Baudelaire (publié en 2008) et de Je parle à n'importe qui, long monologue en prose et en vers libres, qui peut être considéré comme le « suite et fin » radical de « Et... basta ! ». (publié en 2018). Il continue ses travaux d'auto-édition durant toute la décennie, tirant plusieurs plaquettes aux formats inusités, accompagnées de nombreuses photographies, illustrations, lithographies et gravures en bichromie, qu'il ne cherche pas à commercialiser, si ce n'est parfois lors de ses spectacles. En 1980, à la demande de l'éditeur Plasma, il assemble un nouveau recueil, qu'il intitule Testament phonographe (textes de ses chansons enregistrées entre 1962 et 1980, ainsi que plusieurs inédits). La même année paraît La Violence et l'Ennui, un album de rupture avec le tout-symphonique. Cet album donne Villon et sa célèbre « Ballade des pendus ». En 1982, Léo Ferré participe au sixième Printemps de Bourges et publie le triple album Ludwig-L'imaginaire-Le bateau ivre souvent considéré comme un des sommets de sa discographie. En 1983 il reprend La Nuit, son feuilleton lyrique de 1956, le modifie pour en faire une nouvelle œuvre où foisonnent les sautes de registre poétique et musical. C'est le quadruple album L'Opéra du pauvre, auquel il adjoint « Le Chant du hibou », une ballade instrumentale pour violon et orchestre en trois mouvements. Toujours en 1983, il écrit à l'instigation du comédien-dramaturge Richard Martin les dialogues de la pièce L'Opéra des rats, qui sera donnée au Théâtre Toursky de Marseille la même année, puis en 1996. Il se produit devant un large public en tournée où il parvient à se débarrasser de l'hystérie idolâtre des années 1970. Les récitals durent alors près de trois heures. Il n'hésite pas à railler et déconstruire certaines de ses chansons emblématiques. Cette même année, il dirige l'Orchestre Symphonique de Lorient pour sept concerts où les morceaux sont reliés les uns aux autres par la récitation du poème « Métamec ». Il consacre l'hiver 1984-1985 à la composition et au filmage des Loubards, un album et une émission sur de nouveaux textes de son vieil ami Caussimon. En février 1986, Léo Ferré est au Théâtre Libertaire de Paris (Théâtre Déjazet) pendant six semaines avec un récital exclusivement consacré aux poètes. À la fin de l'année paraît le double LP On n'est pas sérieux quand on a 17 ans, qui synthétise toutes les facettes de son travail en assemblant des éléments épars de ses innombrables chantiers en cours. En 1987, Ferré entame une nouvelle « tournée-marathon » : en France, en Allemagne, en Autriche, en Italie, en Belgique, au Canada et jusqu'au Japon. Il participe aux troisièmes Francofolies de La Rochelle, qui lui rendent hommage à travers un concert où d'autres chanteurs reprennent ses chansons. À partir de 1990, Ferré termine symboliquement tous ses récitals par « Avec le temps », qu'il demande au public de ne pas applaudir, disparaissant dans les coulisses, sans revenir saluer. En 1991, à l'occasion du centenaire de la mort de Rimbaud, il choisit de sortir un album sur Une saison en enfer seul au piano. Hospitalisé fin 1992, il doit annuler sa rentrée parisienne au Rex. Il fonde les Éditions musicales « La Mémoire et la Mer » afin que ses ayants droit puissent mieux veiller à l'utilisation future de son œuvre. Sa dernière apparition publique a lieu à la Fête de l'Humanité où l'a invité Bernard Lavilliers, avec qui il chante devant plusieurs milliers de personnes « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » de Louis Aragon, et « Les Anarchistes ». Léo Ferré meurt chez lui, le 14 juillet 1993, à l'âge de 76 ans, des suites d'un cancer qui le mine depuis plusieurs années. Il est inhumé au cimetière de Monaco, dans l'intimité. ___________________________________________
|
||