Coups de foudre | Hommage à Charles Cros Soirée du 4 décembre 2006 Par Pierre Blavin La juxtaposition de plusieurs poèmes pourrait à elle seule constituer une sorte de « Cros par lui-même », tant il a mis de lui dans de nombreux vers, se situant ainsi bien loin du Parnasse impersonnel. Aussi deux de ses poèmes vont-ils me fournir de beaux jalons pour cette présentation1. Le Coffret de santal, édité pour la première fois en 1873, et Le Collier de griffes, paru en 1908, c'est-à-dire 20 ans après sa mort, sont les seuls recueils de poésie d'Hortensius-Émile-Charles Cros, né dans l'Aude, en 1842, mort en 1888 à Paris d'une « décoordination générale des organes », selon un critique du temps. Les deux poèmes que j'ai choisis sont tirés du Collier de griffes. J'aurais bien voulu vivre en doux ermite, Avoir un chalet en bois de sapin ! Le monde nouveau me voit à sa tête. J'ai tout rêvé, tout dit, dans mon pays Ébahis, sans doute au sens de « ahuris », « stupides » plutôt que stupéfaits... Je crois bien qu'il n'a jamais eu de « chalet en bois de sapin », il est mort dans le dénuement, après avoir dû vendre toute sa riche bibliothèque. Mais il s'était marié en 1878, avec Mary (Francès) Hjardemaal, d'origine danoise et qui avait été gouvernante des enfants de la famille royale de Danemark. Il en a eu deux fils, dont l'un, Guy-Charles (1879-1956), poète lui-même, est celui qui a publié Le Collier de griffes, vingt ans après sa mort. À l'aspiration pour une vie réglée et même bourgeoise représentée par sa femme et par ses enfants, eux qui sont « l'avenir », comme il l'écrit entre parenthèses, s'opposent « poignards, poisons, dynamite », symboles des trahisons qu'il a subies et des excès auxquels il s'est laissé aller, surtout l'absinthe, qui ont miné sa santé. À ce malaise suscité par le combat entre ces deux aspirations contraires s'ajoute le dépit devant l'incompréhension de ses compatriotes. Tout cela provoque son « indignation » contre ceux qui l'ont trahi mais sans doute aussi contre lui-même. Par qui donc a-t-il eu le sentiment d'avoir été trahi ? Par certains de ses amis et, à coup sûr, par Nina de Villard, le grand amour de sa vie, qui fut sa maîtresse entre 1868 et 1877. Nina de Villard, nous l'avons déjà évoquée à la Cave, quand nous nous sommes intéressés à Jean Richepin. C'est dans la maison d'un de ses maris éphémères, Hector de Calias, où elle tenait salon avec tout ce que la bohème littéraire et artistique pouvait compter de lurons plus ou moins joyeux, que l'auteur de La Chanson des gueux se livrait à toute sorte d'excentricités. Outre Richepin, on y rencontrait les Goudeau, Rollinat, Mac-Nab, Nouveau, Allais et autres Ponchon, qui firent par la suite les belles nuits du « Chat noir » mais aussi Verlaine, Mallarmé, Jules Vallès, Villiers de l'Isle Adam, Catulle Mendès, Anatole France... mais encore des parnassiens comme Hérédia, Leconte de Lisle, François Coppée et aussi des musiciens et des peintres, Berlioz, Wagner, Manet.... Nina, pourtant point très belle, dit-on, était fort courtisée. Cros, qui lui plaisait avec, a écrit François Coppée, « ses yeux de flammes, son masque tourmenté, ses cheveux secs et crépus, sa peau de mexicain, roulant entre ses maigres doigts couleur d'olive une éternelle cigarette » faisait beaucoup de jaloux. Des biographes de Cros font allusion au fiel distillé par Catulle Mendès, dans La Maison de la Vieille, livre consacré aux us et coutumes des familiers de Nina de Villard, et à une altercation avec Anatole France. S'est-il senti trahi également par d'autres femmes ? On voit passer dans ses poèmes des brunes, des blondes... Qui était vraiment Sidonie - « Sidonie a plus d'un amant... » -, que se passa-t-il avec la danseuse Théresa ?... 1 Principaux ouvrages consultés : - Charles Cros, présenté par Jacques Brenner et avec une étude de Ian Lockerbie - Poètes d'aujourd'hui - Seghers 1955. Épuisé. Présent dans un petit nombre de bibliothèques municipales. Sur la Toile, plusieurs sites donnent des biographies et des poèmes, par exemple « Florilège ». |