Coups de foudre | Poésie de guerre Ni sa mobilisation ni sa semi-clandestinité, à partir de 1942, ne tarirent l'écriture d'Éluard : en 1939, il composa la première partie de Livre ouvert (I, octobre 1940 ; II, janvier 1942). En 1941, Moralité du sommeil et Sur les pentes inférieures. Ayant demandé sa réinscription au parti communiste clandestin, Éluard choisit de combattre avec ses mots : dans Poésie et Vérité (avril 1942, remanié en 1943) paraît le fameux poème « Liberté », dont la diffusion massive par la RAF sur la France occupée fit d'Éluard un homme traqué, contraint de changer de nom et de changer aussi sans cesse de cache. Comme l'a bien compris Claude Roy (1915-1997), ce poème a fait brutalement d'Éluard un mythe et pas seulement un type classique de « poète engagé » : « Éluard, compagnon de cette lutte, déduit la liberté de l'amour et le rêve collectif des foules du monde à travers son expérience personnelle. De 1940 à 1944, des millions d'hommes et de femmes ont été véritablement amoureux de la liberté. Ils ont lu et compris « Liberté » comme on lit et comprend une déclaration d'amour. » Chargé de constituer dans la zone nord le Comité national des écrivains, Éluard regroupe autour de la Résistance Vercors, qui vient de fonder avec Pierre Lescure les Éditions de Minuit, Jean Paulhan, Louis Aragon et Elsa Triolet, Jean Cassou, Jean Tardieu, Lucien Zervos, Robert Desnos, Lise Deharme, et Lucien Scheler. En 1943 paraissent à Genève Domaine français et L'Honneur des poètes, aux Éditions de Minuit : ce sont deux anthologies de poèmes de résistance, et l'avertissement de L'Honneur des poètes est clair : « Devant le péril aujourd'hui couru par l'homme, des poètes sont venus de tous les points de l'horizon français. Une fois de plus la poésie mise au défi se regroupe, retrouve un sens précis à sa violence latente, crie, accuse, espère. » L'activité résistante d'Éluard le conduit encore à consacrer beaucoup de force aux Lettres françaises, le journal de Jacques Decour et Jean Paulhan. Réfugié en Lozère, il publie sous le pseudonyme de Jean du Haut les Sept Poèmes d'amour en guerre (1943). Au Rendez-vous allemand (1944-1945) bouclera le cycle des poèmes de guerre. La poésie de guerre d'Éluard est une poésie militante, engagée, vibrante de l'espoir que les coupables seront punis, simple aussi en ce qu'elle porte la parole d'un peuple humilié. En contrepartie, elle court le risque de devenir prêcheuse et partisane : Éluard le savait, qui répondit dans un texte des Poèmes politiques (1948) à ses « amis exigeants » qui se détournaient de lui quand il chantait « son pays entier comme une rue sans fin » faute de « savoir que les hommes Ont besoin d'être unis d'espérer de lutter Poésie ininterrompue, dès 1946, avait déjà esquissé ce travail d'autocritique sous la forme d'un long dialogue avec l'amante, évoquant tous les risques : celui de la lassitude, du vieillissement, de la mesquinerie quotidienne. La figure lumineuse de Nush, son corps gracile écartaient alors cependant le danger : mais la mort vint la frapper, en novembre 1946. Elle avait quarante ans. Bouleversé, désespéré, Éluard voulut mourir. Aidé par ses amis, par l'écriture encore (il publia en 1947, sous le pseudonyme de Didier Desroches, Le temps déborde, où il criait sa souffrance : « Nous ne vieillirons pas ensemble. Voici le jour en trop: le temps déborde. Mon amour si léger prend le poids d'un supplice »), et par la littérature (publication d'une anthologie poétique sous le titre Le meilleur choix de poèmes est celui que l'on fait pour soi), il finit par accepter que Nush ne fût plus là. Ses derniers textes politiques (Poèmes politiques, 1948 ; Une leçon de morale, 1949), ainsi que son activité militante disent ce qu'il espérait des autres et de la fraternité. À la fin de 1949, Éluard rencontra son dernier amour, Dominique, qu'il épousa en 1951 et en hommage à laquelle il écrivit ses derniers poèmes d'amour, Le Phénix, l'oiseau merveilleux semblable au désir qui renaît perpétuellement. Il travaillait à son Anthologie des écrits sur l'art lorsqu'il mourut d'une crise cardiaque, le 18 novembre 1952.
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