La fête chez Toto À la fête qu'après-demain je donnerai,
Il y aura beaucoup de monde. Toi, curé,
J'exige que l'on vienne et le diable ait ton âme !
S'il y aura des gens de l'Olympe ? Oui, madame,
Quant à vous, je ne vous invite pas, Zari.
On entrera, dès que le maître aura souri,
À l'heure par exemple où se couchent les villes.
À la porte on vendra des éventails des Iles
Du temps qu'Athénasie était reine en riant.
Un diplomate russe, un nonce d'Orient
Viendront gris sans que l'on trouve ça regrettable.
Le dîner, viande et fruits, écrasera la table.
Je ne sais pas les noms de ce qu'on mangera,
Ni quels vins couleront ni quels airs l'on jouera,
Mais les glaces seront de Venise et des pôles.
Des plats d'or voleront par-dessus les épaules,
Sous de fiers lustres à cent mètres du plafond
Qui sera comme un ciel d'indulgence sans fond,
Où trembleront des seins, des lyres et des astres.
Des rires crouleront comme de gros désastres.
On entendra des cris d'oiseaux dans les hauteurs ;
Il y aura des chefs d'offices, des auteurs,
Des voyageurs parlant comme ceux-là du conte ;
Nag la pâle y sera, répondant au vieux comte :
« Change en or ton argent, ton or en perles, cher... »
Et les femmes seront des anges bien en chair,
Nourris de moelles de boxeurs et de cervelles
D'acrobates, disant des bêtises entre elles.
Il y aura des gens sérieux quoiqu'en deuil,
Quelque immense poète en un petit fauteuil,
Et puis, sur une estrade en feutre, une féerie
De musiciens blonds venus de Barbarie,
En gilets frais ainsi que des pois de senteur.
Autour de la maison, obscur comme le coeur,
Le parc sera pompeux et la lune mignonne.
Ah ! nous aurons aussi le monsieur dont personne
Ne sait le petit nom ni le nom, croyez-vous,
Et ce sera le plus délicieux de tous.
Il y aura le diable : une humble enfant qui souffre
Dira le reconnaître à son odeur de soufre.
Certes il y aura l'ami qu'on croyait mort,
Le chien qui mord, et la bonne femme qui dort,
Et plus d'un mendiant au bras de quelque dame,
Mis avec toute la distinction de l'âme ;
Et la musique aura tant d'influence, vrai,
À la fête qu'après-demain je donnerai,
Que l'on croira jouir d'une mort indicible,
Et mourir plus longtemps qu'il ne semble possible,
Dans une sorte d'aise et de grâce, humblement.
Quant au bal, qui sera rose admirablement,
Il entraînera tout nous tous : danseurs sceptiques,
Filles graves roulant des prunelles mystiques,
Et chacune - je vous inviterai, Zari, -
Trouvera son valseur, son ange et son mari.
Bref, tout ce monde, armé de ses plus jolis vices,
De salle en salle ira tournant avec délices,
Dans un vaste froufrou de coeurs et de chiffons,
Dans mon château, mon bon vieux château des Bouffons
Qu'avoisine une mer verte et gaie au possible,
Suivre vers la folie une pente insensible,
Ou vers le crime qui, ce soir-là, sera roi,
Jusqu'à ce qu'apparaisse, après le souper froid,
Le matin bête dans la cohue étonnée.
Hélas ! personne à la fête que j'ai donnée !
Germain Nouveau
Autres vers |