
Deux poèmes Un jour sans colère / Je ne sais pas Un jour sans colère
Fin d'une colère, passion triste
La foudre s'est noyée,
Et dans l'onde du crépuscule l'on voit fondre dans l'ombre longue du ruisseau
ses derniers soubresauts.
La poudre des yeux
meurtriers
est tombée;
L'arbre démaquillé,
branches toutes hérissées
de poussées carnavalesques,
de mystiques envolées,
d'éructations d'ailes d'oiseaux déchiquetées,
de moulinets donquichottesques,
de bruissements simiesques,
s'est rhabillé ;
A cessé désormais d'ululer à la nuit,
A cessé de vouloir
de sa pointe
crever, déchirer
l'antre des nues,
le sommier cru.
Les murs enfin se sont assis
et le ciel
sans abcès
aux gestes assouplis
tient dans sa paume
une lune endormie.
© Éric Lemière, mai 2016
Je ne sais pas
Je ne sais pas l’algèbre des fruits.
Je ne sais pas l’herbe du paradis, les pavés de l’enfer.
Je ne sais pas l’odeur du serpent, ni le cœur de l’agneau.
Je ne sais pas la certitude des pierres, la force des torrents, les paillettes du regard éternel, sous la paupière des étoiles.
Je ne sais pas les ballons lâchés du vouloir, l’abandon d’aimer,
les ineffables tréteaux de la pensée.
Je ne sais pas l’instant, je ne sais pas le temps suspendu ;
Je ne sais pas l’arrêt de la flèche sur le cadran des heures.
Je ne sais pas la coupure des freins sur des routes en descente, sans bornes ni panneaux ;
Je ne sais pas l’insouciance de l’eau ;
Je ne sais pas l’or pur de l’ignorance, le désembourbement des marées, l’égrillage des cages,
le sage équarrissage des corbeaux de la peur.
Je ne sais pas où j’erre sous mes masques.
Je ne sais pas le lointain de mon prochain.
Je ne sais pas l’écume des choses, la profondeur d’une rose.
Je ne sais pas le lourd interrupteur de la douleur, le déminage du désir.
Je ne sais pas la liberté intime, je ne sais pas l’arbitre.
Je ne sais pas l’alchimie des mots, le vrai du faux, la fuyante mutation du verbe ;
Je ne sais pas la grâce, je ne sais pas l’indualité.
Je ne sais pas le goût du sang du Christ.
Je ne sais pas l’œil du cyclone, le ventre de Bouddha.
Je ne sais pas le bonheur sous cellophane, la sommation du bien-être,
la consommation sans consumation.
Je ne sais pas l’euphorie perpétuelle.
Je ne sais pas l’extase sans obstacle de l’anachorète ;
Je ne sais pas le quotidien sans poids.
Je ne sais pas le pourquoi de la beauté, ni la raison d’espérer.
Je ne sais pas la direction de mes sens, la musique de mes pas.
Je ne sais pas le miracle permanent d’exister.
Je sais seulement :
LA JOIE DE VIVRE !
© Éric Lemière, 21 juillet 2011
Extrait de son recueil
Des dits cassés... et recollés, journal poétique 2011, L'Harmattan
On peut écouter le texte lu par l'auteur sur sa chaîne Youtube. |