Les ébauches Le charme douloureux des ébauches m'attire,
Telles les frêles fleurs qu'une haleine meurtrit,
Car la beauté jadis entrevue y sourit,
Harmonieusement, de son demi-sourire.
Ces visages fuyants, ces fragiles contours,
S'estompant sur la toile irréelle du rêve,
Ne laissent au regard qu'une vision brève
Dont la divinité se dérobe toujours,
L'ébauche étant la soeur fragile des ruines
Qui mêlent leur tristesse et leur hantise au soir,
Evoquant la splendeur ancienne d'un pouvoir
Sombré dans le palais que voilent les bruines.
On sent l'accablement du vouloir entravé
Dans la ténuité morbide de l'esquisse
Dont la grâce furtive, où le regret se glisse,
A l'infini du vague et de l'inachevé.
Renée Vivien
Évocations, 1903 |