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Max Elskamp : choix de poèmes

D’Anciennement transposé, I

J’ai triste d’une ville en bois,
— tourne, foire de ma rancœur,
mes chevaux de bois de malheur —
j’ai triste d’une ville en bois,
j’ai mal à mes sabots de bois.

J’ai triste d’être le perdu
d’une ombre et nue et mal en place,
— mais dont mon cœur trop sait la place —
j’ai triste d’être le perdu
des places, et froid et tout nu.

J’ai triste de jours de patins
— Sœur Anne ne voyez-vous rien ? —
et de n’aimer en nulle femme ;
j’ai triste de jours de patins,
et de n’aimer en nulle femme.

J’ai triste de mon cœur en bois,
et j’ai très-triste de mes pierres,
et des maisons où, dans du froid,
au dimanche des cœurs de bois,
les lampes mangent la lumière.

Et j’ai triste d’une eau-de-vie
qui fait rentrer tard les soldats,
au dimanche ivre d’eau-de-vie,
dans mes rues pleines de soldats,
j’ai triste de trop d’eau-de-vie.

Dominical, 1892.

Tour d’ivoire, V

Mais geai qui paon se rêve aux plumes,
Haut, ces tours sont-ce mes juchoirs ?
D'îles de Pâques aux fleurs noires
Il me souvient en loins posthumes :
Je suis un pauvre oiseau des îles.
Or, d'avoir trop monté les hunes
Et d'outre-ciel m'être vêtu,
J'ai pris le mal des ingénus
Comme une fièvre au clair de lune,
Je suis un pauvre oiseau des îles.
Et moins de joies me font des signes,
Et plus de jours me sont des cages,
Or, j'ai le coeur gros de nuages ;
Dans un pays de trop de cygnes,
Je suis un pauvre oiseau des îles ;
Car trop loin mes îles sont mortes,
Et du mal vert qu'ont les turquoises,
J'ai serti mes bagues d'angoisse ;
Ma famille n'a plus de portes :
Je suis un pauvre oiseau des îles.

La Louange de la vie, 1898

Celle qui passe

Je suis celle qui suis le pain
Des jours où d’amour on a faim,

Celle qui va, vient, qui passe,
Dans les cœurs sans laisser de traces ;

Je suis celle en l’instant ou l’heure,
Qui apaise désir sans leurre,

Comme coupe qu’on porte aux lèvres
Pour calmer sa soif ou ses fièvres,

Quand c’est de nuit ou bien de jour
Qu’à vivre on sent son cœur trop lourd.

Je suis celle du sang qui bat
Chez qui l’on vient, chez qui l’on va,

Dans la nuit noire ou le jour clair,
Pour en soi apaiser sa chair,

D’hiver, automne, été, printemps,
Comme est la vie en tous les temps,

Dans les désirs qu’elle nous quitte,
Et puis après celle qu’on quitte

Dans l’heure ou l’instant comme il est
Sans peine, chagrin ou regret,

Comme le verre où l’on a bu
Quand soif que l’on avait s’est tue.

Je suis celle dont l’âme est morte,
Et dans le cœur qu’en soi l’on porte

Dans l’émoi est inconscient,
Et qui le sait et y consent ;

Je suis celle qui souriant
Debout sur le seuil de sa porte,

Dans la pluie comme dans le vent,
Attend ceux que la nuit apporte.

Salomé

Elle est venue,
Elle a souri,
Et puis sans plus
Elle est partie ;

Blonde elle était
Comme une agnelle,
Bleus, comme ciel,
Yeux avérés ;

Et nuit passait
Dans les éthers,
Et puis la mer
Au loin chantait,

Et lune ronde
Et dans les airs,
Elle aussi blonde
Faisait lumière,

D’or, comme automne,
Et sur la terre,
Et où les hommes
En bas dormaient.

Or c’était elle
La Salomé
Des Galilées
Bleues sous les ciels.

Et revenue,
Et rédimée,
De l’éternel
Lors descendue,

Pour retrouver
Les jours élus,
Où chair à nu
Elle dansait,

Et que saignait
De Jean la tête
Et coupée nette
Dans un baquet.

Or c’était toi
Lors qui rêvais
Comme il en est
Lorsque l’on boit,

Pour oublier
Choses amères
En soi qu’on sait
Et de la chair,

Et qui nous gourre
Et met la lie
De la folie
En nos cœurs lourds.

 La guerre du mouton blanc

C’est la guerre du mouton blanc, contre le noir,
Il y a mille éléphants dans la plaine.

Des archers, arc tendus, en bleus turbans de moire,
Sur des chevaux tiut crin, et des chameaux tout laine.

Il y a des bardeaux, des mulets, des onagres,
Et sur des juments pies de noirs musiciens,

Et bataille gagnée, les vainqueurs la bouche âcre
Vers le puits s’en vont boire en saignant des deux mains.

Or le Prince-des-Perles est là qui sourit
À son rêve exaucé, au bonheur qui l’attend,

Aux choses de son règne, aux choses de sa vie,
À des bosquets de myrrhe en son jardin persan,

Au monde qui se tend comme une coupe pleine,
À ses lèvres, son cœur, à sa chair et son sang,

Et bataille gagnée, à la fin de sa haine,
Et dans le soir qui vient en la joie du présent.

Or tout au fond de l’air, une montagne est rose,
Après des rochers bleus, après des rochers blancs,

Où des chemins s’en vont, où des oiseaux se posent
Dans la fraîcheur qui vient après le jour ardent,

Et bataille gagnée, c’est les feux qui s’allument
Dans les tentes dressées, pour la nuit qui descend,

Et les hommes couchés sur le sable qui fume,
Et la lune en sa paix dans le ciel en croissant.

Le Vase

C’est le jour qui meurt
Sur un vase blanc
De Fou-Khien,

Tandis que c’est l’heure
Qui sonne au cadran
Et soir qui pleure

À Hokodaté
Sur la mer d’été
Où naît le vent ;

Et sur son divan
Un mandarin rêve
À la vie brève

Qui n’est dans le temps
Qu’ainsi qu’un instant
Tôt qui s’achève.

C’est un vase blanc
Dont est l’ornement
Virginité,

Et col allongé
Blond comme lait trait
Après la pluie,

Et qui dit en lui
Couleurs endormies
Le néant,

En son émail clair
Et lors transparent
Comme du verre.

C’est la nuit qui vient
Sur un vase blanc
De Fou-Khien,

Pour mettre son ombre
Dans une heure sombre
En son levain,

Mais le vase est vierge
Comme sont les cierges
Que Marie sait,

Et le vase luit
Alors dans la nuit
Comme étoilé.

Gotama

Et maintenant Bouddha c’est toi,
Qui veux qu’on ait pitié de tout,
Ce qui est serti dans le monde,

Ce qui naît et qui vit en foi,
Ce qui est juste, bon et doux,
Ici-bas sur la terre ronde,

Ô maître, qui pour le chemein,
Nous as fait connaître huit routes,
À nous autres, las, les humains,

Et qui portons souvent le doute,
En nous sans connaître le bien
De croire à ce qui est ou vient.

Et maintenant ici Bouddha,
C’est toi qui, et par Aminda,
Nous as vrai le pur enseigné,

En mettant en nous blonde foi,
Dans un futur, où rédimée,
Ce serait nous et dans l’émoi,

D’être de nouveau incarnés,
Après que la mort et venue,
Nous aurait en long étendus,

Sous la terre où ver se repaît,
De notre chair putréfiée,
Pour rien que nos os les laisser,

Et alors un jour rédimés,
Connaître de nouveau la vie,
Mais ailleurs, et plus haut montés.

Ô Maître, des terres promises,
Où c’est l’âme seule qui luit,
Dans une tendresse infinie,

Où plus n’est rien que la douceur,
La justice, et dans la clarté,
Qui nous donne, alors tout sans leurre,

C’est en toi qu’est allée ma foi,
Sur le chemin que j’ai suivi,
Et qui en moi a mis la paix,

Que si longtemps j’avais cherchée,
Sans la rencontrer dans ma vie,
Et Maître, que tu m’as donnée.

Les Heures jaunes, 1923.

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