Je hais la vérité Je hais la vérité et ceux qui la proclament
Et qui crient haut et fort qu'elle est fort belle dame,
Bien sagement vêtue, toujours du meilleur goût,
Ses petits doigts crispés posés sur ses genoux.
Pour elle, point n'est besoin de battre les campagnes,
D'imiter les oiseaux, d'enjamber les montagnes.
Il n'est de blanc que blanc au milieu du brouillard
Et même au creux du jour, le noir reste le noir.
Puisque la vérité, qui voit tout, qui sait tout,
Vous dit impunément que un clou est un clou.
Pour elle, point n'est besoin d'inviter les poètes
Ou d'entendre le vent qui chante à nos fenêtres,
Ecrire des chansons, changer de religion,
Mieux vaut s'asseoir à table sans poser de questions.
Puisque la vérité, qui voit tout, qui sait tout,
Ne perd jamais une heure en questions à deux sous.
Pour elle, point n'est besoin de gaspiller son temps
Ou de passer sa vie comme un petit enfant,
À transformer les mots, mélanger les couleurs;
De quelques pierres blanches, faire un bouquet de fleurs,
Puisque la vérité qui voit tout, qui sait tout,
Ne s'adresse jamais aux rêveurs et aux fous.
Pour elle, point n'est besoin d'écouter les étoiles
Sur le radeau brisé, d'accrocher la grand' voile
Et au monde qui croit que tout est à l'endroit,
Parler du dragon vert qui s'est changé en roi.
Puisque la vérité qui voit tout, qui sait tout,
S'est murée dans le monde et ne sait rien du tout.
Isabelle Schmitt
© I. Schmitt |