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Virages

J'étais parti, petit matin,
Juste pour fair' pisser mon chien.
J'tenais la laiss', mais c'était rien
Que comm' si j'lui donnais la main.
Parfois, on s'attardait un brin
À r'nifler un étron canin,
Puis on r'partait sur le chemin
En déconnant comm' deux copains.

On philosophait comm' des fous
À propos de rien et de tout
Des os à moelle et des matous,
Du trou d'ball' du canich' d'en d'sous,
Des fill's qui vous font les yeux doux
Mais vous abandonn'nt rien du tout,
D'la vie, d'la mort, d'la soupe aux choux,
Des cailloux, des poux, des hiboux...

Yavait en l'air, des hirondelles
Qui volaient à s'user les ailes
Et dans les champs, des fleurs si belles
Qu'on les espérait éternelles.
Les cigal's grattaient leurs crécelles
À rendre jalous's les saut'relles
Qu'étaient loin d'faire autant d'bruit qu'elles.
Ça énervait les coccinelles.

Mais Charly, chien désabusé,
Ricanait quand je lui faisait
Remarquer tout ça ; il disait
Ça vaut pas un jambon braisé ! »
J'l'engueulais c'vieux cabot blasé.
Mais alors, comme il est rusé,
De quelques coups d'langue avisés
Y savait toujours m'apaiser.

Un moment, j'lui ai dit : « Part'ner,
S'rait temps de rallier nos arrières.
Sinon, je sens qu'not' cuisinière
Va grimacer dans sa soupière !
Ell' nous f'ra des reproch's amers.
Toi, tu t'en fous, mais c'est mon blair
Qui va écoper d'sa colère.
Et j'aim' pas quand ell' déblatère. »

Y m'a fait : « Allons, du courage !
J'veux pas bousiller ton ménage,
Mais tu vois, là bas, ce virage ?
C'qu'ya après vaut p'tét' le voyage ?
Suppos' qu'on y trouve des plages
Peuplé(es) d'vahinés pas très sages...
Ou les trésors de tes mirages...
Ou des tas d'os... à mon usage... »

On y'est allé. Eh bien, p'tit père
Y'avait... rien... qu'un chemin de terre
Et un autr' virage en travers,
Et un autre, et plein d'aut's derrière...
Pardon à notre cuisinière,
Mais ces virages et leurs mystères,
Mine de rien, nous ont fait faire,
Mon chien et moi, l'tour de la Terre.

Jean-Pierre Girard
Boussy le 29 juillet 2004.

© J.-P. Girard
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