Ma propriété Ma propriété n'a pas de mur,
C'est l'espace.
Et tout ce qui s'y passe.
À moi, plaine ardente et bois obscurs.
Pauvres à millions, murez-vous dans vos murs !
J'ai bâton, blouse et chapeau de paille,
Gros sabots, vieux livre et jeune chien,
Tous les jours dès l'aube avec la caille,
Je m'en vais pour visiter mon bien.
Que je vais en bon propriétaire,
Folle avoine, épi jaune et lin bleu
À l'envi s'inclinent vers la terre.
Disons tout : le vent s'y prête un peu !
L'Opéra n'a pas de voix plus fraîches
Que mes bois, ni plus de décors,
De ma stalle, en mousse, en feuilles sèches
J'applaudis d'invisibles ténors !
Vos trésors, mais j'en fais ma risée,
Diamants, service de vermeil,
Venez voir mes gouttes de rosée,
Où se joue un rayon de soleil.
D'un coteau je plonge en ton domaine,
Gros bourgeois, mes yeux sont des voleurs,
Puis la brise, en complice, m'amène
Le parfum de tes tilleuls en fleurs.
Tout le sol métré par le cadastre
Est à vous, mais pour loger mes vers,
En posant mes jalons d'astre en astre,
Chaque soir j'arpente l'univers.
Ma propriété n'a pas de mur,
C'est l'espace.
Et tout ce qui s'y passe.
Ma propriété n'a pas de mur.
Pauvres à millions, murez-vous dans vos murs !
Eugène Pottier (1816-1887), d'abord emballeur, s'est ensuite spécialisé dans le dessin sur étoffe. Rappelons qu'il est l'auteur de l'Internationale !
On peut lire sur le site « Gallica » de la BNF Chants révolutionnaires, 1895. |