À une jeune femme J'ai compris ta souffrance, ô triste jeune femme !
De ton front altéré quand j'ai vu la pâleur ;
Quand j'ai vu ton regard, mélancolique flamme,
Se tourner vers le ciel confident de ton âme,
Va, j'ai lu dans ton cœur !
J'ai lu qu'un froid hymen a défloré ta vie ;
Qu'un lugubre avenir, veuf de joie et d'amour,
Couvre comme un linceul ta jeunesse flétrie ;
Et qu'hélas ! tu subis, de dégoûts poursuivie,
D'interminables jours.
Se peut-il que ces biens si communs dans le monde,
Ces maux qui font au moins sentir la vie en soi :
Ivresse, désespoir, amour, haine profonde,
Délices ou tourments, dont le sort nous inonde,
Ne soient jamais à toi !
Quoi ! jamais sur tes jours d'astre qui les éclaire !
Quoi ! toujours dans ton cœur la fatigue et l'ennui !...
Jamais, jamais d'enfant qui t'appelle sa mère !...
Et savoir qu'il faudra demain, la vie entière,
Souffrir comme aujourd'hui !...
Ne pleure pas ; tes pleurs éveilleraient le blâme :
Le monde ?... ah ! comprend-il tous les maux qu'il nous fait ?
Cache-lui, cache à tous les douleurs de ton âme ;
Chante et ris, si tu peux, mais surtout, pauvre femme,
Garde bien ton secret !
Car si, leur découvrant le trait qui te déchire,
Tu leur disais : « Eh bien ! ce mal que je ressens,
C'est le besoin d'amour, d'ineffable délire !... »
Ils se diraient entre eux avec un froid sourire :
« Elle a lu des romans... »
Honte et mépris sur vous, blasphémateurs impies
Du culte grand et saint qu'on professe à genoux !
Par l'égoïsme ardent vos âmes sont flétries ;
Vous reniez l'amour, les nobles sympathies...
Honte à jamais sur vous !
Enghien, 183...
Préludes, 1841
Marie, du nom de son mari, Carpantier (1815-1878) fut couturière dès l'âge de 12 ans. Elle deviendra spécialiste de l'éducation des jeunes enfants. |