À Pierre M.
À la charnière du vingt et unième siècle
Dieu déclara à un descendant de Noé :
« La Terre est l’antre du Péché, que j’exècre,
Ces damnés humains m’exaspèrent :
Ils perturbent ma Musique des sphères.
Donc, mon Nouveau-Noé, mets-toi vite au travail ;
Car l’Esprit de Dieu flottera bientôt
Au dessus-des eaux.
Et pour les détails,
Tu n’auras qu’à lire la Bible1
(Si toutefois c’est encore possible).
Presse-toi, car les flots vont monter d’ici peu ! »
Ayant dit, Dieu se retira
Au plus haut des cieux.
Après quelques mois l’Œil réapparut,
Éclair furibond dans l’empilement des nues :
« Mais... qu’arrive-t-il mon Nouveau-Noé ?
C’est un squelette de navire que voilà ;
Que fais-tu ? Le temps presse, le tança la Voix.
- Pardonne-moi, Seigneur, dit ce Néo-Noé,
Mais je suis déprimé :
Tu aurais dû me conseiller d’aller me pendre !
- Diable ! dit Dieu, et pourquoi ça ?
- C’est, qu’ici il ne fait pas bon entreprendre :
À peine avais-je rassemblé trois bouts de bois
Que les obstacles se sont accumulés,
Plus haut que les trois cent coudées1.
L’Administration m’est tombée sur le râble,
Exigeant un permis préalable,
Après moult démarches,
L’architecte de la Préfecture,
Insistait encore pour convertir mon Arche
En navire de croisière, puis en épure.
Plus tenace que le chiendent,
Un Délégué à la sécurité
M’a imposé ses règlements paralysants.
L’Inspection du travail est venue vérifier
La durée des pauses, les horaires travaillés
Les jours chômés, et... et...
Comme j’encombrais la cour avec des matériaux
Les voisins se sont plaints au syndic
Et cette espèce de sadique
M’a coupé l’eau,
Puis l’électricité !
C’est alors que l’Urbanisme m’a réclamé
Une étude de faisabilité
Pour convoyer l’Arche jusqu’à la mer.
J’ai eu beau expliquer
Que durant le Déluge la mer
Trouverait seule le chemin du bateau,
Rien n’y a fait... mais le plus beau,
C’est quand les syndicats s’en sont mêlés ;
M’infligeant une main-d’œuvre qualifiée,
C’est-à-dire dire, syndiquée !
Puis les RTT, puis les congés payés.
Quant à leurs primes de panier...
C’est à croire qu’ils font les courses chez Fauchon !
Et moi, j’étais déjà fauché ; Passons...
Le fisc soupçonnant une fraude
A la TVA, ou je ne sais trop quoi d’autre,
A épluché mes comptes durant plusieurs mois :
J’ai dû acquitter l’impôt sur les sociétés.
Toujours à l’affut, l’Urssaf m’a redressé et
J’ai dû me surendetter
Pour acquitter la C.S.G.2 !
Des écologistes qui ne distinguent pas
Un phoque d’une otarie ont bloqué
Mon chantier, m’accusant de polluer !
Le W.W.F.3 puis la S.P.A.
M’ont interdit de parquer les animaux
Dans un enclos
Hors de leur milieu naturel.
Le Service des douanes, épris de zèle,
Persuadé que j’allais exporter
Des espèces dangereuses ou protégées,
M’a contraint à les vacciner...
Avant de me les enlever ! Et... et...
- Holà... coupa Dieu, bon ! Ça suffit comme ça
Mon Nouveau-Noé, J’ai compris, calme-toi !
Alors, en l’instant, on vit les nuées
Se retirer et un clair soleil rayonner.
- Alléluia ! S’écria le bougre à genoux.
Ô... Seigneur, dois-je comprendre que Tu renonces
A détruire le monde ?- Ah ça... es-tu fou ?
Dieu jamais ne varie d’une once,
S’esclaffa le Créateur en soupirant d’aise.
Mais pourquoi diable irais-je me fatiguer
Quand l’Administration française
Est en train de s’y employer !»
Yves Tarantik
1 Le récit de la Genèse donne 300 coudées pour la longueur de l'Arche, 50 en largeur, 30 pour la hauteur. Soit env. 137 m. de long, 26 m. de large et 16 m. de haut. Après 40 jours L’Arche se serait échouée au sommet du mont Ararat (Actuelle Turquie). On dit aussi les monts Ararat.
2 La CSG Contribution sociale généralisée, requalifiée d’imposition par le Conseil Constitutionnel, est la démonstration même d’une gestion qui dépense toujours plus qu’elle ne collecte. Cinq ans après le gouvernement à dû créer la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS).
3 WWF : Prononcer v.v.f.
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