Poètes et interprètes | Bon Dieu ! Qu’est-ce qui tombe, comm’flotte ! !... Ça fait quatr’jours et quatr’nuits qu’ça dure... Les copains disent qu'y pleut comm’vache qui pisse ; Moi j’dis qu’c’est tout l’troupeau qui s’lâche ! ! !.... Ça s’arrête mêm’pas à l’heure d’la traite... Nom de Dieu, quelle flotte ! J’ai dû mettr’des bottes qui ferm’quasi jusqu’au menton ; C’est dire ! !... Mes aïeux ! !... Les vieux disent qu’on a pas vu ça depuis 1638 !... Même si j’les respecte, ces vieux, j’ai des doutes sur la date. Je sais bien qu’ils ont connu les trois guerres mais quand même, 1638, ça commence à lâcher, j’pense, dans leurs crânes. Mais bon, c’est vrai, autant d’flotte, c’est pas courant. P’têt qu’on va voir bientôt Noé apparaître, comm’nous a dit l’curé, avec toute sa clique de bestiaux et sa colombe. Quel bordel ce s’rait si son rafiot échouait ici. D’un autr’côté ça nous f’rait à manger pour un bout d’temps : D’la girafe, du pingouin, d’la baleine, du coyote... Bon Dieu ! Tout’cett’boustifaille gratos, nous qui mangeons tout l’temps que d’la patate et d’la patate. Les mômes s’raient contents. Surtout qu’ils joueraient avec, avant d’les bouffer. Et jouer avec une baleine, faut dire, c’est top pour un gosse. En attendant, y flotte !... Pas facile de marcher avec de l’eau jusqu’aux ch’veux. J’aurais dû emprunter la barque du curé. Je sais qu’il en a une de planquée dans sa cabane à outils. C’est lui qui m’l’a dit, un jour où j’lai confessé entre deux bières. Il la garde là pour le jour du déluge, qui m’a dit tout sérieux, en faisant des croix au-d’ssus des verres. Ah le con ! Pour le jour du déluge ! ! Sacré curé ! J’rigole, mais c’est un brav’type, c’curé. Un ancien d’chez nous qu’a passé la robe, un jour, mais qui savait que c’que c’était que d’saigner l’cochon, du temps qu’on avait encore du cochon à bouffer. Et pis, il a basculé... Vers l’amour, qu’il nous a dit... Bon... Moi... Qu’un copain s’en aille pour rev’nir en curé, après tout, j’en pense rien... C’est toujours le mêm’gars. Y cause autrement, c’est tout... En attendant, ça tombe toujours... V’la t-y pas qu’y va avoir raison, pour une fois, l’curé et ses grandes eaux !... Si encore c’était d’l’eau bénite, qui tombe, ça nous f’rait des points en plus pour l’paradis, vu qu’on en avale autant en respirant qu’avec une pelle ! Ou si c’était du pinard, sûr, ça nous r’mettrait l’moral dans l’mille ! Mais d’la flotte... Y’a qu’les bigotes desséchées qui doivent êtr’contentes. Ça y est. J’suis arrivé. J’suis sûr qu’j’y suis, mais j’vois plus que d’la flotte. J’suis sûr qu’j’y suis, vu que depuis tout môme j’y viens tous les jours, et qu’le ch’min est gravé sous mes pieds. Pourtant y’a plus rien. C’est là, pourtant. Mais y’a plus rien. Des grenouilles, ça, oui... Des trucs et des machins qui flott’partout, ça, oui... Mais plus d’barrière... Plus d’maison... Mêm’plus l’chêne qu’était là d’avant l’temps des calendriers !... Y’a plus que d’l’eau... Que d’l’eau. ...... Et là-bas !... Tout p’tit... Mais qui grossit... Qui grossit !... Merde ?... MEEERDE ! !... V’la Noé. © Christian Gros
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