Poètes et interprètes | Hier après-midi, alors que je sirotais tranquillement un pastis estival à la terrasse d’une brasserie, j’ai vu passer un mammouth... Dans un premier temps je dois vous avouer que j’ai été très surpris, notamment par son aspect famélique : Il semblait n’avoir pas mangé depuis plusieurs mois ; Son œil terne était posé tel un soleil fatigué sur l’horizon mou de sa paupière usée ; Son poil défraîchi n’avait pas croisé d’aspirateur depuis longtemps ; Et ses défenses cariées ne le défendaient plus guère que par habitude, et encore, contre on ne sait quel ennemi débonnaire et amical. Et le plus étonnant étaient ces incroyables souliers vernis qu’il portait aux pieds !... L’un était d’un noir profond ; Le second d’un rose vif rehaussé d’une grappe de raisin en cristal de Murano ; Le troisième était d’une délicate couleur crème anglaise ; et le dernier manquait... Si bien que le pauvre bougre boitait piteusement, et que l’alternance du choc des trois chaussures suivies de sa patte nue faisait au sol un rythme de locomotive, donnant à cette bête des allures de transsibérien. La présence en ville de cet ancêtre tendrait à prouver que le réchauffement climatique planétaire a sérieusement débuté, et qu’au fur et à mesure de la fonte des calottes polaires nous allons peut-être subir de plus en plus de surprises de cet acabit ; Libérés tour à tour de leur gangue glaciaire millénaire, verrons-nous donc ainsi Diplodocus, Pithécanthropes, mouches léopards, fougères carnivores, pucerons géants et girafes à têtes basses envahir nos campagnes, dévorer notre avoine, gagner nos cités, squatter nos ultimes places de parking et coloniser nos terrasses de café ? Et tous ces nouveaux venus auront-ils l’élégance de mon mammouth, qui, issu vraisemblablement d’une famille aisée, s’était donné la peine de se chausser d’escarpins afin de se fondre plus discrètement dans la foule ? Quelles surprises nous réserve l’ouverture inéluctable de nos deux congélateurs polaires ? Il est à espérer qu’en dehors, hélas, d’une montée significative des eaux planétaires, nous n’ayons pas à subir l’invasion d’entités teigneuses et malodorantes ; Car, de la même façon que dans ce pastis ensoleillé que je tenais en main, j’aurais à la limite supporté une montée des eaux, j’aurais par contre été chagriné d’y trouver également une mouche venue du fond des âges. © Christian Gros
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